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Pourquoi les soins en Amérique sont chers et tout de même lamentables

Eva Schram
Eva Schram Correspondante en Amérique du Nord pour Knack.be et LeVif.be

Les États-Unis dépensent plus en soins de santé que n’importe quel autre pays riche du monde, mais figurent systématiquement en queue de liste quand il s’agit de la qualité des soins. Quelles en sont les raisons?

« Obamacare is death », a déclaré le président Trump récemment. Pour le président républicain et son parti, l’Affordable Care Act (ACA) n’est guère bénéfique pour les soins de santé. Cependant, une étude récente du Commonwealth Fund, un institut de recherche indépendant, révèle au contraire que l’ACA a peu à peu entraîné une amélioration des soins de santé américains.

L’étude devrait faire réfléchir tous les opposants au ACA. Les États-Unis dépensent presque 17% du PIB en soins de santé, plus que n’importe quel autre pays riche du monde. À titre de comparaison, aux Pays-Bas, c’est 11% et au Canada 10%. Mais les États-Unis affichent le plus mauvais résultat des 11 pays étudiés (États-Unis, Suisse, Suède, France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Australie, Canada, Norvège, Nouvelle-Zélande) pour pratiquement tous les indicateurs de soins de santé.

L’étude du Fonds du Commonwealth est réalisée tous les trois ans. Chaque année, les États-Unis figurent en bas de la liste, mais depuis l’instauration d’ACA il y a une légère amélioration dans plusieurs domaines. Aussi le Fonds avertit-il que l’abrogation d’Obamacare sans solution de remplacement serait une mauvaise décision. Pour l’instant, les sénateurs semblent d’accord avec le Fonds. Mercredi dernier, le Sénat a voté à 55 voix contre l’abrogation. Et vendredi, une nouvelle proposition pour abroger certaines mesures d’Obamacare a également été rejetée.

Que faut-il faire alors pour améliorer les soins? Eric Schneider, auteur principal de l’étude et vice-président du Fonds, explique que les États-Unis doivent s’occuper de quatre domaines : « Nous devons atteindre la couverture de soins de santé universelle, renforcer les soins de première ligne, réduire les charges administratives et diminuer l’inégalité liée aux revenus. « Avec ce que l’on dépense en soins de santé dans ce pays, on pourrait avoir les meilleurs soins de santé. »

Couverture universelle

L’étude conclut que si les trois pays en tête du classement, le Royaume-Uni, l’Australie et les Pays-Bas, ont trois systèmes différents, ils partagent un élément : ils ont tous les trois une couverture universelle, qui fait que chaque habitant possède une assurance maladie.

L’importance de la couverture universelle est double. Premièrement, il est important que les jeunes en bonne santé disposent d’une assurance maladie, de sorte qu’ils contribuent aux soins des personnes âgées et des malades. Si seul les personnes qui avaient besoin de beaucoup de soins payaient, cela ne couvrirait jamais les frais. Dans les systèmes de couverture universelle, les personnes en bonne santé paient pour les malades et les jeunes pour les plus âgées.

Deuxièmement, la couverture universelle permet de chercher plus vite de l’aide parce qu’ils savent que les coûts sont en grande partie couverts. De cette façon, on empêche que les patients aient besoin de soins chers et spécialisés dans un stade beaucoup plus tardif.

L’ACA oblige les entreprises de plus de 50 employés de proposer une assurance maladie, et les gens qui n’en bénéficient pas doivent acheter des assurances individuelles, ledit mandat individuel. C’est cette mesure que les républicains ont voulu abroger : ils n’apprécient pas que l’état fédéral oblige les gens à acquérir une assurance.

Ceux qui ne peuvent se payer une assurance individuelle peuvent contracter l’assurance maladie nationale Medicaid. Les alternatives républicaines envisagées ces dernières semaines coupaient tellement dans Medicaid que beaucoup de gens se retrouveraient à nouveau sans assurance.

Celui qui ne prend pas d’assurance maladie sous l’ACA et ne se tient donc pas au mandat individuel se voit infliger une amende par le biais de la déclaration fiscale. En outre, on a interdit aux assureurs de se servir des antécédents médicaux pour refuser des clients ou facturer un autre prix.

Ces mesures ont fonctionné. À présent, des dizaines de millions de personnes qui n’avaient pas d’assurance en ont une.

Le Congressional Budget Office (CBO), la chambre des comptes du Congrès américain a calculé que si on abroge Obamacare sans le remplacer, comme les Républicains ont essayé de le faire la semaine dernière, 17 millions d’Américains se retrouveraient sans assurance. Dans dix ans, ce nombre atteindrait les 32 millions. « Et ces prédictions seront malheureusement probablement proches de la réalité », déclare Schneider. « Le CBO est bon ».

Soins de première ligne

Le grand problème des soins de santé américains, c’est que les soins de première ligne sont sous-développés. Beaucoup de patients ne vont pas chez leur généraliste et se rendent directement aux urgences. Régulièrement, les postes d’urgence sont remplis de personnes qui se sont coupées et qui n’ont besoin que de quelques points de suture.

En outre, les généralistes envoient les patients beaucoup trop rapidement vers un spécialiste. Et il y a trop peu de généralistes. « Il y a trop peu de régulation dans ce domaine », déclare Schneider. « Pour inciter plus de médecins à travailler comme généralistes, il faut supprimer les stimulations financières de devenir spécialiste », dit-il.

Ce qui pourrait également jouer, outre un manque de gestion et d’investissement de l’état, c’est la culture de la plainte propre à l’Amérique, estime Schneider. « Un généraliste préférera orienter quelqu’un vers un spécialiste plutôt que de prendre le risque d’être accusé d’erreurs médicales », dit-il. En plus, les généralistes sont confrontés à une pression de travail énorme et il n’est pas rare qu’ils soient victimes de burn-out.

Charge administrative

En Amérique, quand on se rend chez un professionnel médical, que ce soit à un poste de premiers secours ou chez un spécialiste, il faut remplir un questionnaire volumineux. Ensuite, le personnel de l’institution doit traiter toutes ces données. Tout cela demande du temps. « Tant les médecins que les patients trouvent cela très pénible », déclare Schneider.

En outre, il n’est pas toujours clair ce qui sera remboursé ou pas, ce qui peut influencer la qualité des soins fournis. Si un patient n’est pas sûr qu’un traitement sera remboursé, il pourrait prendre le risque de le refuser.

Diminuer l’inégalité

Aux États-Unis, les moyens financiers déterminent encore toujours la qualité des soins. Les personnes démunies ont moins souvent un médecin de famille, doivent attendre plus longtemps pour voir un spécialiste et ont plus de mal à bénéficier de soins le soir et le week-end.

« Cette inégalité peut se résoudre de différentes façons », déclare Schneider. « Pour l’instant, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède affichent les meilleurs résultats. Ces pays consacrent beaucoup plus d’argent aux services sociaux, ce qui permet de garder la santé globale à niveau. »

Moins d’argent

Si les États-Unis consacraient du temps et de l’attention aux thèmes susmentionnés, l’énorme montant consacré par l’état aux soins de santé pourrait permettre à l’Amérique de se trouver en tête de liste. « En fin de compte, nous pourrions même dépenser moins d’argent en soins. »

Où va tout cet argent? Schneider avance deux raisons. « La première, c’est que la population américaine est plus malade. « Les mesures en matière de santé publique (en investissant en services sociaux) pourraient aider ».

« La deuxième cause, c’est le prix de moyens et de services médicaux payés par l’état », déclare Schneider. « Il est question d’une concurrence fictive, il y a beaucoup d’exemples qui montrent que les prix payés par l’état ne sont pas conformes au marché. Dans d’autres pays, les autorités peuvent négocier le prix des médicaments, par exemple. Nous ne pouvons pas. Par conséquent, l’état paie trop cher ses médicaments. »

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