La " marche du retour " des Palestiniens de la bande de Gaza a connu son pic de violences le lundi 14 mai avec près de 60 morts. © Ibraheem Abu Mustafa/reuters

Pourquoi l’explosion dans la bande de Gaza était inévitable

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La jubilation israélienne après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale par Washington face à la désespérance croissante des Palestiniens privés de droits : le cocktail était voué à susciter une confrontation. Pas une répression disproportionnée.

La nouvelle poussée de fièvre particulièrement meurtrière que connaît le Proche-Orient après des mois d’une accalmie empreinte de douce satisfaction, côté israélien, et de dépression fataliste, côté palestinien, est la chronique d’une crise annoncée. Le 70e anniversaire de l’Etat d’Israël s’est conjugué au transfert effectif de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, au mépris des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et des droits des Palestiniens, pour produire une situation explosive, attisée par le mouvement islamiste Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza. Revue des questions que pose la nouvelle donne dans l’histoire proche-orientale.

Comment expliquer un bilan si meurtrier ?

La  » marche du retour  » rappelle annuellement le départ forcé ou volontaire des quelque 750 000 Palestiniens qui ont quitté le territoire de l’Etat israélien au moment de sa création, en 1948. Elle a pris une dimension supplémentaire en 2018 en raison du 70e anniversaire de l’indépendance et de l’inauguration annoncée de la nouvelle ambassade des Etats-Unis déplacée de Tel-Aviv à Jérusalem. L’initiative s’est étalée cette fois-ci du 30 mars à la date fatidique du 15 mai fixée par les Palestiniens pour la naqba (catastrophe), au lendemain de la création de l’Etat hébreu. Avant cette échéance, les rassemblements organisés tous les vendredis dans la bande de Gaza le long de la frontière avec Israël avaient déjà suscité la répression de l’armée israélienne et provoqué la mort d’une cinquantaine de Palestiniens. Dans ces circonstances et en l’absence de puissance extérieure modératrice, il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir que les journées des 14 et 15 mai allaient encore accroître la tension. Bilan : 58 Palestiniens tués rien que pour la journée de lundi.

Sans doute faut-il lier l’escalade actuelle à l’assurance d’un gouvernement israélien conforté par ses succès diplomatiques et médiatiques

Quelles sont les responsabilités dans les violences ?

Il est difficile d’imaginer que le Hamas, qui dirige la bande de Gaza mais qui est affaibli politiquement, n’a pas orchestré une partie des heurts avec les soldats israéliens au cours de ces marches du retour et, singulièrement, les lundi 14 et mardi 15 mai. Plusieurs témoignages ont relaté des tentatives de franchissement de la barrière de sécurité et d’incursion en territoire israélien. Les dirigeants israéliens avaient prévenu que les militaires utiliseraient la manière forte, particulièrement en cette période anniversaire qui sacralise les frontières de l’Etat. Pour preuve, cette règle d’engagement stipulant qu’une personne approchant d’un périmètre de 300 à 100 mètres de la barrière de sécurité constituait une menace et pouvait être abattue. Rien cependant ne justifie un recours aussi fréquent à des tirs à balles réelles alors que des moyens alternatifs auraient tout aussi bien pu rencontrer l’objectif de prévention des débordements au-delà de la ligne de séparation. Ce diagnostic est particulièrement criant en regard du bilan des marches à dominante familiale d’avril dernier, qui avaient tout de même déjà fait quelque 50 morts. Sans doute faut-il dès lors lier cette escalade à l’assurance d’un gouvernement israélien, de droite et d’extrême droite, conforté par ses succès diplomatiques et médiatiques.

En regard des événements de Gaza, la joie d'Ivanka Trump lors de l'inauguration de l'ambassade américaine à Jérusalem avait quelque chose d'indécent.
En regard des événements de Gaza, la joie d’Ivanka Trump lors de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem avait quelque chose d’indécent.© Ronen Zvulun/reuters

Que devient le camp de la paix en Israël ?

Vox clamens in deserto. Le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem le 14 mai et la répression meurtrière des émeutes en lisière de la bande de Gaza auront étouffé un peu plus les ultimes voix dissidentes. Quasiment inaudibles, les partisans d’une issue pacifique et négociée du conflit israélo-palestinien n’avaient pas besoin de cela : la droitisation patente d’une société minée par la peur et la méfiance, convaincue qu' » il n’y a pas de partenaire en face « , a réduit comme peau de chagrin le  » camp de la paix « , suspect de déloyauté, sinon de trahison. Une mouvance fragmentée, où surnagent une poignée de réfractaires, tel l’écrivain David Grossman. Si l’audience des pionniers de Shalom Arshav (La Paix maintenant) n’en finit plus de décliner, une poignée d’ONG hostiles à la colonisation entretient la subversion, à l’image de B’Tselem, le centre d’information sur les droits de l’homme dans les territoires occupés. D’autres trublions, anciens officiers de l’armée et du renseignement ou militants du Forum des familles endeuillées, s’échinent à bousculer un statu quo intenable.

La colonisation rend-elle la paix impossible entre Israéliens et Palestiniens ?

L’influence des quelque 600 000 colons et de leurs soutiens politiques n’a cessé de croître depuis les accords de paix d’Oslo en 1993-1995. Cette situation rend a priori impossible  » la solution à deux Etats « . Pourtant, certains observateurs restent prudemment optimistes :  » L’immense majorité des colons est installée dans quelques gros blocs d’implantation près de la ligne de cessez-le-feu de 1948, et bien souvent pour des raisons tenant davantage aux prix de l’immobilier qu’à une volonté d’occupation de la terre « , souligne Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, dans une récente étude publiée par l’institut Montaigne.  » Dire que la solution à deux Etats est désormais impossible arrange les extrémistes des deux bords, ajoute-t-il. Mais l’opinion israélienne continue de la soutenir.  » Reste, encore et toujours, la question de Jérusalem…

Qui sont les alliés arabes de Benjamin Netanyahou ?

Miracle de la géopolitique : jamais Israël, pourtant dirigé par un exécutif ultra-intransigeant, n’a compté autant d’alliés objectifs dans la galaxie arabo-musulmane. Ce prodige doit beaucoup aux craintes qu’inspirent les appétits régionaux de l’Iran, hantise de la galaxie sunnite. En novembre dernier, un ministre de Netanyahou confessait l’existence de liens secrets avec  » plusieurs  » capitales arabes. Pas si secrets que cela. Mohamed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, concède que le royaume wahhabite a  » de nombreux intérêts communs  » avec un Etat hébreu que Riyad ne reconnaît pas… De même, la guerre à huis clos que l’armée égyptienne mène dans le Sinaï, théâtre d’une insurrection djihadiste, intensifie une coopération sécuritaire ancienne. Autre facteur, l’impératif énergétique, Israël ayant conclu récemment des contrats colossaux de livraison de gaz à la Jordanie, puis à l’Egypte. Le partenariat avec la Turquie ? Volcanique : rupture en 2010, normalisation voilà deux ans, échange d’invectives cette année, au sujet du statut de Jérusalem.

Par Gérald Papy, et le service Monde de l’Express.

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