Emmanuel Macron, ici avec Idriss Déby fin 2018, renie sa promesse de ne pas interférer dans les affaires intérieures des partenaires africains de la France. © L. MARIN/AFP

Pourquoi l’engagement militaire français au Tchad d’Idriss Déby est un calcul à haut risque

Le Vif

Vu des dunes et de la rocaille sahéliennes, le « nouveau monde » macronien ressemble à s’y méprendre à l’ancien. Voire au très ancien. Le récent engagement militaire français au Tchad, ultime avatar d’une ingérence chronique, fleure – plus ou moins – bon les us et coutumes du siècle dernier.

Entre les 3 et 6 février, les Mirage 2000 ornés de la cocarde tricolore, appuyés par un drone Reaper, ont frappé à plusieurs reprises dans le désert de l’Ennedi (extrême-nord) une colonne de pick-up lourdement armés, venue du Sud libyen. Au prix d’un bel exercice de casuistique postcoloniale, Paris argue qu’il s’agissait d’enrayer, à la demande de N’Djamena, une  » incursion en profondeur de nature à déstabiliser le pays « .

Les raids, qui auraient anéanti une vingtaine de 4×4 militarisés, résultent à l’évidence d’un détournement de mandat et de moyens. Les chasseurs-bombardiers français mobilisés assurent d’ordinaire la couverture aérienne de l’opération Barkhane, déploiement qui a pour vocation de  » combattre le terrorisme  » au Sahel et au Sahara. Or, les maquisards visés opèrent sous les couleurs de l’Union des forces de la résistance (UFR), rébellion dirigée par Timan Erdimi, un neveu du président tchadien Idriss Déby Itno, alias  » IDI « , étrangère aux desseins des insurgés djihadistes affiliés à Al-Qaeda ou au groupe Etat islamique. En clair, Emmanuel Macron, emboîtant le pas cadencé de ses prédécesseurs, renie sa promesse de ne pas interférer les armes à la main dans les affaires intérieures des partenaires africains de la France.

Le tropisme vient de loin. La région septentrionale du BET – Borkou, Ennedi, Tibesti – ne sort de l’orbite de l’administration militaire française qu’en 1965, soit cinq ans après l’accession à l’indépendance. Au fil de la décennie suivante, des contingents bleu-blanc-rouge bataillent contre les insurgés du Frolinat puis ceux de Goukouni Weddeye. Dans les années 1980, le nord du Tchad devient l’enjeu de la guerre larvée que l’ancienne puissance coloniale, inquiète des visées annexionnistes de Tripoli, livre au guide libyen Mouammar Kadhafi. Quitte à voler au secours du sinistre Hissène Habré – dictateur condamné en 2017 à la perpétuité pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité -, qu’elle lâchera en 1990 au profit de son ex-chef d’état-major, un certain… Idriss Déby.

Il faut sauver le soldat Déby

De fait, c’est avec le concours actif de la DGSE, le renseignement extérieur français, que l’ancien stagiaire de l’Ecole de guerre s’empare de N’Djamena. Et ce, en vertu d’une robuste tradition, à la tête d’un convoi rebelle surarmé parti du Darfour soudanais.

Natif lui aussi du Grand Nord tchadien, le fils de berger d’ethnie zaghawa connaît donc la chanson, les chanteurs et le chef de la chorale. Lequel vient à sa rescousse au printemps 2006, puis en 2008. En février de cette année-là, les assaillants de l’UFR – déjà – échouent aux portes du palais. Virtuose du rezzou, raid-éclair, Déby doit sa survie à sa bravoure, certes, mais plus encore au soutien décisif de ses protecteurs français. Plutôt que de tirailler au grand jour aux côtés des forces loyalistes, ceux-ci prennent le contrôle de l’aéroport de la capitale et fournissent au despote aux abois une couverture aérienne, des infos sensibles à foison, ainsi qu’un précieux appui logistique en matière de munitions, de ravitaillement et de soins médicaux.

Onze ans plus tard, Paris sauve de nouveau la mise à un régime clanique, autocratique, prédateur et corrompu. Madré, cynique, IDI a appris à tirer le meilleur parti de sa rente de situation géopolitique. Il passe, non sans raison, pour le seul allié fiable et aguerri de Paris sur tous les fronts de l’âpre combat engagé contre l’hydre criminalo-djihadiste ; qu’il s’agisse du bourbier malien, des incursions des soudards de la secte nigériane Boko Haram ou du laborieux accouchement de la force panafricaine dite du G5 Sahel. Autant dire que l’établissement à N’Djamena du quartier général de Barkhane ne doit rien au hasard. Un autre signe de cette inaltérable bienveillance ? Chaque année, la France fournit à l’armée du Tchad, pays producteur de pétrole, pour quatre millions d’euros de carburant.

Invoquant une amnistie aux contours imprécis offerte l’an dernier aux rebelles de toutes obédiences, les autorités locales assimilent les réfractaires à des  » mercenaires  » ou à des  » terroristes « . Un peu court. Bien sûr, Erdimi et les siens n’ont rien de doux idéalistes. Il leur est arrivé de pactiser, au Darfour, avec quelque milice connue pour la cruauté de ses exactions ou, dans le grand bazar post-Kadhafi, d’épauler telle brigade islamiste de Misrata. Et rien ne dit que, parvenus aux commandes, ils instaureraient une gouvernance plus probante que celle de Déby. Pour autant, comment leur reprocher de recourir aux procédés dont usa leur meilleur ennemi ?

Encore faudrait-il qu’ils disposent des moyens d’une telle ambition. Maints experts en doutent. Et certains d’entre eux estiment que la percée de l’UFR n’avait d’autre but que de se tailler un nouveau sanctuaire montagneux en territoire tchadien. D’autant que les confins sud du Fezzan libyen s’avèrent bien moins hospitaliers qu’hier. A la mi-janvier, le maréchal Khalifa Haftar, maître du flanc est de la défunte Jamahiriya, y a lancé une vigoureuse campagne visant à  » purger  » le secteur. Il y a du revers dans l’air : le 9 février, l’état-major tchadien annonçait la capture de 250  » terroristes « , la destruction d’une quarantaine de véhicules et la saisie de  » plusieurs centaines d’armes « .

La France apparaît aux yeux des Tchadiens, jeunes en tête, comme le  » parrain  » inconditionnel d’une coterie hautaine et inefficace. Certes, l’affaissement des cours du brut affecte les recettes budgétaires. Mais on ne peut imputer à ce seul phénomène un naufrage qui a conduit le système Déby à amputer d’un tiers le traitement des fonctionnaires et à sabrer dans les dépenses de santé et d’éducation. Au palmarès du développement humain, le pays de Toumaï, astreint à une cruelle cure d’austérité, figure à la 215e place sur 219.

Comme l’incurie, l’archaïsme a un coût. Qui, pour la France, risque de devenir sous peu prohibitif.

Par Vincent Hugeux.

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