Harvey Weinstein © Reuters

« Porcs ? Les hommes ne sont pas habitués à ce type d’insulte »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Philosophe française et historienne de la pensée féministe, directrice de recherches émérite au CNRS et ancienne députée européenne, Geneviève Fraisse savoure la libération de la parole féminine.

Y aura-t-il un avant et un après « Harvey Weinstein ? Y a-t-il eu un avant et un après « Dominique Strauss-Kahn » ?

J’ai été très étonnée d’entendre l’actrice Jane Fonda se référer à l’affaire DSK à propos de l’affaire Weinstein. DSK, c’est une affaire du xixe siècle : un bourgeois qui prend le corps d’une bonne dans un espace privé. Cette affaire a connu un retentissement énorme, suscité six mois de débats et une flambée folle dans la presse. Puis il y eut l’affaire Baupin, ce député écologiste français accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles à l’Assemblée nationale (NDLR : l’enquête a été classée sans suite en mars dernier pour prescription). On peut encore citer le cas de David Hamilton (NDLR : photographe et réalisateur britannique, qui s’est suicidé en 2016 peu après avoir été accusé de viols par des ex-modèles). On observe par conséquent un devenir historique qui amplifie chaque fois la caisse de résonance.

Twitter en est-il le facteur explicatif ?

Geneviève Fraisse
Geneviève Fraisse© Emmanuelle Marchadour

Twitter, c’est une surprise, décuple ce mouvement. Mais celui-ci est lié à la possibilité qu’ont à présent les femmes de prendre la parole dans l’espace public. A cause du féminisme et du fait qu’elles ont de plus en plus de place dans un espace professionnel, ce qui les conforte dans la possibilité de s’exprimer. Cette force que les femmes gagnent en ce moment s’explique par cette conquête de places plus fortes dans l’espace professionnel et par conséquent public.

Twitter, une divine surprise ?

Comme philosophe, je ne suis pas là pour livrer une opinion à ce sujet mais pour donner un espace de réflexion. Prenez le mouvement des Femen : la nudité politique est choisie pour interrompre le bavardage médiatique. Twitter inaugure une autre histoire.

« Balancetonporc » : ce langage cru explique-t-il le succès de cet appel aux femmes à dénoncer leur abuseur ainsi réduit à un porc ?

L’intitulé de ce hashtag en fait certainement une caisse de résonance. Les femmes se sentent ravies de cette façon de s’exprimer à laquelle elles sont souvent elles-mêmes confrontées. Les hommes ne sont pas habitués à ce que les femmes tiennent leur langage, elles qui doivent souvent subir des insultes immondes du style  » salope « . Et puis, comparer l’homme à un animal à l’heure où les antispécistes remettent en question la distinction faite entre l’homme et l’animal, c’est en soi intéressant.

Les « porcs » n’ont-ils désormais qu’à se tenir à carreau ?

On est passé de  » la honte doit changer de camp « , vieux slogan féministe, à  » la peur doit changer de camp « . Ce transfert amène chez les hommes cette question :  » Faut-il qu’on ait peur ? Les femmes ont-elles trop de pouvoir ?  » DSK, Baupin, Hamilton, Weinstein : ces dates, ces événements s’additionnent. Cette continuité entre les affaires signifie chaque fois un peu plus la fin d’un sentiment d’impunité. Le soufflé ne va pas retomber : comment se traduira-t-il ? Je n’en sais rien. Mais de voir toutes ces femmes qui respirent enfin, cela fait plaisir.

Par Geneviève Fraisse : La Sexuation du monde. Réflexions sur l’émancipation, presses de Sciences po, 2016, et Du consentement, Seuil, 2007.

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