Paul Kagamé © Reuters

Paul Kagame n’ira pas à Kinshasa

Le Vif

Il n’était pas forcément le bienvenu, et il ne viendra pas: le président rwandais Paul Kagame a renoncé à jouer les intermédiaires au nom de l’Union africaine (UA) dans les tensions post-électorales en République démocratique du Congo (RDC), où une partie de l’opinion le tient en haute suspicion.

L’UA n’enverra finalement pas lundi à Kinshasa la mission qui devait être menée par le chef de l’État rwandais, son président en exercice, pour faire part des « doutes sérieux » pesant selon elle sur les résultats.

L’UA a été prise de vitesse par la Cour constitutionnelle congolaise, qui a validé dans la nuit de samedi à dimanche l’élection de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et rejeté le recours de l’autre opposant Martin Fayulu Madidi. M. Kagame et le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, avec lequel il devait mener cette mission, ont été désavoués par des poids-lourds du continent qui ont félicité sans attendre M. Tshisekedi: l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, sans compter le Burundi, frère-ennemi du Rwanda.

Il semblait dès lors difficile pour l’UA de maintenir sa mission, sous peine d’étaler au grand jour ses divisions. M. Kagame, qui craint qu’une instabilité en RDC se propage à ses frontières, a dû baisser pavillon.

L’UA a publié en fin d’après-midi un communiqué dans lequel elle dit « prendre note » de la décision de la Cour constitutionnelle et indique que « la visite de la délégation de haut niveau qui devait se rendre à Kinshasa (lundi) a été reportée ».

« La Commission lance un appel à tous les acteurs concernés pour qu’ils oeuvrent à la préservation de la paix et de la stabilité, ainsi qu’à la promotion de la concorde nationale dans leur pays », a-t-elle ajouté.

M. Kagame avait été à l’initiative d’une réunion jeudi à Addis Abeba, où plusieurs dirigeants africains avaient demandé la « suspension » de la proclamation des résultats définitifs, en raison des « doutes sérieux » pesant sur ceux provisoires annoncés par la Commission électorale (Céni).

Cette position était sans précédent dans l’histoire de l’UA, souvent qualifiée par les opposants africains de « syndicat » garant des pouvoirs en place.

Mais elle a fait long feu, et ce en dépit des appels de M. Fayulu, qui conteste les résultats, pour que la communauté internationale ne reconnaisse pas M. Tshisekedi.

Pour torpiller cette position, le président Kabila a lui-même dépêché une délégation de haut niveau à Kigali: son directeur de cabinet, Néhémie Mwilanya Wilonja, le patron des renseignements congolais, Kalev Mutond, et son conseiller diplomatique, Barnabé Kikaya Bin Karubi.

Pour beaucoup en RDC, la décision de l’UA de dépêcher M. Kagame avait de toute manière tout de la provocation, en raison de son rôle passé dans le pays. Nombre de Congolais avaient aussi dénoncé les leçons de démocratie d’un homme réélu avec 98% des voix en 2017. M. Kagame « incarne les agressions répétées de la RDC » et sa venue ne pouvait que susciter l’hostilité de la population, qui ne souhaite pas voir « le pyromane jouer au sapeur-pompier », avait déclaré à l’AFP le caricaturiste Thembo Kash.

La RDC et le Rwanda entretiennent des relations complexes depuis le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qui fit 800.000 morts selon l’ONU.

En 1996-1997, M. Kagame avait activement soutenu militairement le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président, parti de l’est frontalier du Rwanda pour renverser le maréchal Mobutu Sese Seko, au pouvoir depuis 1965.

En 1998, M. Kabila avait coupé les ponts avec le Rwanda. Kigali était alors intervenu une nouvelle fois en RDC au cours de la deuxième guerre régionale (1998-2003), disant vouloir pourchasser les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), considérés comme des génocidaires.

Puis entre 2007 et 2013, Kigali a été accusé de soutenir deux rébellions, le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP) et le Mouvement du 23 mars (M23), dans la région des Kivu, située dans l’est de la RDC.

Le chef de l’État rwandais n’est pas venu en RDC depuis 2010, pour le cinquantenaire de l’indépendance, comme d’autres chefs d’Etat étranger, dont le roi Albert.

En février 2018, des accrochages ont eu lieu entre les armées des deux pays à leur frontière. Pour les Congolais, le Rwanda ne cesse depuis 25 ans de chercher à étendre son espace vital et à s’approprier les richesses minières (or, coltan…) du Kivu.

Conscient de ce passif, M. Kagame avait veillé à ne pas s’exprimer publiquement sur les élections en RDC.

Mais le temps pressant pour lui – il cessera d’être président de l’UA le 10 février, et son successeur, l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi, est sur une ligne bien moins interventionniste -, il avait tenté une dernière manoeuvre avec l’envoi de cette délégation. En vain.

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