Trente-sept partis se présentent au suffrage des électeurs néerlandais le 17 mars. © BELGA IMAGE

Pascal Delwit (ULB): « La fragmentation du paysage politique est accentuée aux Pays-Bas par le mode de scrutin »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’érosion des « grandes » familles politiques, la montée de l’écologie et de la droite radicale et l’apparition de formations défendant des intérêts spécifiques compliquent la formation des gouvernements. Aux Pays-Bas et ailleurs, décrypte Pascal Delwit, politologue à l’ULB.

La multiplication des partis est-elle une spécificité néerlandaise ou est-elle observable ailleurs en Europe?

De manière générale, il y a une plus grande fragmentation des systèmes politiques en Europe: plus de partis qui se présentent aux suffrages des électeurs, plus de formations qui décrochent des sièges de parlementaires, et, à l’exception partiellement de la Grande-Bretagne, une érosion des grands partis historiques, de centre-gauche et de centre-droit. La fragmentation est assez exacerbée aux Pays-Bas. Historiquement, la démocratie chrétienne, à la fois catholique et protestante, dominait la vie politique avec une autre formation, moins importante, le Parti des travailleurs (PvdA), l’équivalent du PS et du SP.A chez nous. Ces deux courants s’affaissant fortement, c’est le troisième, les libéraux représentés par le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), qui est devenu le plus important du pays avec Mark Rutte comme Premier ministre. Ce morcellement de la vie politique est aussi, pour partie, lié aux conditions institutionnelles de l’organisation des élections. Il s’agit d’un scrutin proportionnel comme en Belgique mais à l’échelle du pays. Résultat: un parti qui obtient 2% des voix remportera des sièges. Il concourt à l’idée que se présenter aux élections peut déboucher sur un résultat tangible. Ainsi, le parti animaliste, Partij voor de Dieren, dispose de sièges depuis plusieurs élections alors qu’à l’échelle européenne, il est très rare que les formations de ce type en aient au niveau national. Son équivalent belge, DierAnimal, a un élu à l’échelle de la Région bruxelloise. La fragmentation du paysage politique est accentuée aux Pays-Bas par le mode de scrutin.

La fragmentation du paysage politique est accentuée aux Pays-Bas par le mode de scrutin.

Former un gouvernement est-il plus compliqué dans ce contexte?

Ce morcellement du paysage politique a deux conséquences principales. La difficulté de trouver une coalition ; on l’a observé à l’issue des deux dernières élections aux Pays-Bas. Et la difficulté de mettre en place un gouvernement cohérent. L’actuel est un « gouvernement des droites », mais avec des droites très différentes, le VVD, les démocrates-chrétiens du CDA, le parti évangélique ChristenUnie… Et, en plus, ce gouvernement est minoritaire. Il est assez compliqué dans ces conditions de former une majorité cohérente, d’autant plus quand des partis de droite radicale et de gauche radicale disposent d’élus. La formation d’une majorité ne se réalise alors pas au départ de 100% des sièges mais souvent en fonction de 80% de ceux-ci.

Quelle motivation trouve-t-on à la création de nouveaux partis ces dernières années?

Au cours des soixante à septante premières années du XXe siècle, les partis se sont articulés autour de deux ou trois thématiques majeures: la question socio-économique, le clivage philosophique, et, souvent aussi dans beaucoup de pays, la relation entre le pouvoir central et celui de la périphérie qui touche à la préoccupation régionale. Depuis une trentaine d’années, on observe le caractère moins structurant des clivages socio-économique et, de façon plus nette encore, philosophique, et, en revanche, un approfondissement de la question régionale. Dans la période contemporaine, on a constaté la création de nouveaux partis autour de deux courants encore généralistes, la droite radicale et le mouvement écologique, devenu assez important aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg. Enfin, on assiste parfois à l’éclosion de « partis de niche » qui se fixent sur une problématique: la défense des pensionnés, des femmes, des jeunes, ou de la cause animale. Leur succès peut être plus ou moins pérenne en fonction du système politique.

Est-ce une évolution bénéfique pour la démocratie?

La volonté de se mobiliser pour une cause et d’agir est a priori un élément positif. Le risque est que la vie politique s’articule autour de problèmes spécifiques. Il est très difficile, pour un exécutif national ou régional, de mener une politique cohérente par l’agrégation de différents éléments spécifiques. A cette objection, les acteurs de la représentation d’intérêts spécifiques répondent que la préoccupation qu’ils mettent en avant n’est plus prise en compte par les grands partis ou même qu’une revendication générale n’est plus défendue. Certains acteurs en viennent à penser que plus personne ne défend la vision de gauche du clivage socio-économique puisque les partis sociaux-démocrates l’ont abandonnée. Les Pays-Bas sont emblématiques de cette perception. Une grande partie de l’électorat du PvdA l’a déserté en 2017 parce que, dans le gouvernement socialiste-libéral qu’il formait avec le VVD de Mark Rutte, c’est surtout une politique libérale qui a été menée. Le PvdA est donc passé de 25% à 5% des suffrages. Une chute dramatique. Si une réelle restructuration permettait de distinguer de manière nette la différence entre les partis de gauche et de droite, elle réduirait sans doute la tentation des acteurs de créer des formations sur des thématiques spécifiques.

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