Rare éclaircie dans le conflit, des civils ont été évacués de quelques villes ukrainiennes assiégées grâce à des corridors humanitaires, le 8 mars. © getty images

Ordre mondial, nucléaire, économie, défense, énergie, migration: la guerre de Poutine change tout (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A la guerre totale poursuivie par la Russie, les Occidentaux répondent par de nouvelles sanctions. Les hydrocarbures sont en ligne de mire. Empêcheront-elles le projet de vassalisation de l’Ukraine imaginé par Vladimir Poutine pour briser la « domination occidentale » du monde?

Est-ce parce que Vladimir Poutine poursuit sa guerre totale en Ukraine au prix de nombreuses pertes humaines, de l’exil de deux millions d’Ukrainiens, déjà, et d’effroyables destructions? Ou, au contraire, parce que la première volée des sanctions a eu « un impact dévastateur sur l’économie russe », comme le prétend le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken? Ou encore, plus prosaïquement, parce que le président Joe Biden est mis sous pression à Washington par des élus républicains soucieux, assez soudainement, des souffrances des Ukrainiens et intéressés par les retombées de nouvelles sanctions pour leurs Etats producteurs d’hydrocarbures? L’interdiction de l’importation du pétrole et du gaz russes est désormais au menu des consultations entre Européens après l’embargo américain sur le pétrole et le gaz annoncé le 8 mars par Joe Biden.

En continuant d’acheter le gaz russe, les Européens financent la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine.

Le même jour, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, venait s’enquérir des intentions de ses partenaires européens en rencontrant d’abord Emmanuel Macron. Les Européens ne présentent pas sur cette question le même front uni qu’ils ont affiché lorsqu’ils ont pris de fortes sanctions, le 27 février. L’Allemagne est très dépendante du gaz russe et craint les conséquences pour la vie quotidienne des citoyens européens. Et, hors Union européenne, la Grande-Bretagne plaide pour une émancipation progressive de la dépendance envers la Russie. Même si, dans l’absolu, la décision se justifie amplement puisqu’en continuant d’acheter le gaz russe, les Européens financent la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine, le bouleversement qu’elle entraînerait en matière d’approvisionnements vitaux et de coûts sociaux doit être mûrement soupesé et, si possible, préparé.

La guerre d'Ukraine est entrée dans sa troisième semaine et on imagine mal encore l'ampleur des destructions subies.
La guerre d’Ukraine est entrée dans sa troisième semaine et on imagine mal encore l’ampleur des destructions subies.© getty images

Les risques du nucléaire civil

Il n’est, du reste, pas acquis qu’une interdiction des importations d’hydrocarbures russes ait une influence directe sur la conduite de la guerre. L’ armée russe poursuit son offensive pour s’assurer le contrôle complet, économiquement stratégique, des rivages de la mer Noire et de la mer d’Azov, au prix du siège dramatique de Marioupol et d’un nouvel assaut urbain, à Odessa ; aussi pour s’emparer définitivement, non sans de lourdes pertes, de Kharkiv, la deuxième ville du pays, et enfin, pour encercler Kiev, la capitale. Dans cette perspective de conquête et d’occupation, le risque d’une instrumentalisation des sites nucléaires civils, un temps redoutée après le bombardement d’un bâtiment administratif dans la nuit du 3 au 4 mars à la centrale de Zaporijia, s’est éloigné. « Si la stratégie des Russes est bien d’occuper tout le territoire ukrainien, ils auront besoin de contrôler ces sites pour préserver la production d’électricité », souligne Marc Finaud, professeur associé au Centre de politique de sécurité, à Genève. Dans le contexte que connaît l’Ukraine, un accident n’est toutefois pas exclu. « Il suffirait que des tirs involontaires touchent des systèmes d’alimentation électrique de secours ou des piscines de refroidissement du combustible pour que l’on soit confronté à une vraie catastrophe », reconnaît l’expert. Le problème, en l’occurrence, ne réside pas tant dans les réacteurs, dont l’enceinte de confinement peut résister à des phénomènes extrêmes, mais dans les infrastructures annexes, nettement moins protégées.

« Plus d’Ukraine antirusse »

Occupation ou annexion? Le projet de Vladimir Poutine pour l’Ukraine est bien, semble-t-il, celui de la vassalisation de sa population. Un éditorial d’un journaliste de l’agence RIA Novosti, Pyotr Akopov, mis en ligne par erreur le 26 février (1) alors qu’il devait vraisemblablement saluer la victoire de l’armée russe, s’avère remarquablement éloquent. Titré « L’avènement de la Russie et du nouveau monde« , il justifie l’urgence d’une opération sur Kiev par la crainte que la consolidation du contrôle géopolitique et militaire de l’Occident sur l’Ukraine n’empêche définitivement le retour des « Petits-Russes » dans le giron des « Grands-Russes ». « Il n’y aura plus d’Ukraine antirusse », se félicite l’auteur qui met en exergue « la responsabilité historique » assumée par Vladimir Poutine. Une ambition qui dépasse le cadre régional: « La Russie n’a pas seulement défié l’Occident. Elle a montré que l’ère de la domination occidentale peut être considérée comme complètement et définitivement révolue. » « Un monde multipolaire est devenu une réalité. Seul l’Occident s’oppose à la Russie », assure encore le thuriféraire du président russe que la condamnation internationale à l’invasion de l’Ukraine devrait ramener à un peu plus d’humilité.

(1) Sur fondapol.org

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