Carte blanche

Open Dialogue Foundation: quand les loups de la fraude fiscale se déguisent en brebis

L’Open Dialogue Foundation est une organisation non gouvernementale fondée en Pologne en 2009. Son siège se trouve à Bruxelles, où elle est très active et dispose de nombreux soutiens. Elle est présidée par la militante ukrainienne Lyudmyla Kozlovska, et se présente comme une organisation de défense des droits de l’homme et de plaidoyer pour la démocratie dans les pays de l’ancien bloc soviétique – objectif louable.

L’ONG jouit d’une certaine réputation. Elle a même pris part à des missions de surveillance aux côtés de l’ONU et de l’OSCE. Pourtant, une récente conférence tenue à Bruxelles par les journalistes d’investigation britanniques Stephen M. Bland et Gary Cartwright – ce dernier en a même fait un livre – vient jeter une ombre sur cette organisation. Sous un vernis de respectabilité, elle servirait ainsi à couvrir les délits de délinquants au col blanc venus principalement d’Asie centrale.

Une ONG qui fait dans la vente d’armes et les jeux d’argent

Pour commencer, il y a la question des statuts de l’ONG. La défense des droits de l’homme peut prendre une grande variété de formes – en particulier au vu des techniques de persécution de plus en plus pernicieuses développées par les autocraties de tous bords. Pourtant, l’article 14 de ce texte prévoit que l’organisation puisse organiser des jeux d’argent – elle a d’ailleurs été impliquée dans des transferts d’argent plus que suspects avec une société chypriote active sur l’île ainsi qu’à Malte.

Plus troublant encore, l’article 8.10 l’autorise à l’achat et la vente de matériel militaire. Les deux journalistes ont d’ailleurs découvert que l’ODF avait vendu des viseurs infrarouges pour snipers – les plus avancés du monde – et gilets pare-balles aux insurgés sécessionnistes ukrainiens du Donbass. Une accusation confirmée par un audit de la Chambre de commerce polonaise datant de juillet 2017. L’organisme a sans détour qualifié l’ODF d’ « organisme de protection de fraudeurs fiscaux ».

L’ODF serait ainsi utilisée pour orchestrer des « attaques personnelles » contre les détracteurs de ses « protégés ». D’après Varsovie, l’ONG aurait été utilisée pour attaquer les notices rouges d’Interpol visant plusieurs oligarques venus d’anciens pays du bloc soviétique, principalement le Kazakhstan. L’argument est simple : les poursuites qui les visent sont menées par des pays « non démocratiques » et « politiquement motivées ».

Si l’ODF semble, en premier lieu, protéger les droits de ces ressortissants, à y regarder de plus près, elle semble se spécialiser dans le fait de faire passer des criminels à col blanc pour des réfugiés politiques, persécutés par des régimes autoritaires. La liste de ses têtes est d’ailleurs éloquente : Vyacheslav Platon, Nail Malyutin, Aslan Gagiyev et le très peu fréquentable Mukhtar Ablyazov, tous très riches et poursuivis pour fraudes graves – ce dernier aurait même été condamné pour le meurtre d’un ancien associé dans son Kazakhstan natal.

Un financement plus que douteux

En plus de ses activités et fréquentations clairement louches, l’Open Dialogue Foundation n’est pas exemplaire en matière de financement. Elle aurait ainsi touché 1,8 million d’euros entre 2009 et 2016 – une somme colossale qu’elle prétend avoir touchée grâce à des « collectes de rue ». Lors de sa présentation au Press Club Brussels Europe, Stephen Bland a même évoqué 1,27 million touchés pour la vente de matériel informatique et des services de consulting réalisés par le biais d’une entreprise de production de bouchons de liège !

Plus largement, l’ODF aurait joué un rôle dans des affaires de blanchiment à grande échelle. Une enquête publiée le 21 avril dans le Sunday Times qualifiait ainsi l’ODF d' »organisation criminelle », estimant qu’il ne faisait aucun doute qu’elle était liée au grand banditisme. L’article se penchait notamment sur l’implication de l’ONG dans l’affaire du « Russian Laundromat » – l’un des scandales de blanchiment d’argent les plus importants de l’histoire.

Le système mis en place entre 2011 et 2014 aurait en effet permis à des dizaines de personnalités russes de déplacer plus de 19 milliards d’euros d’argent sale vers Europe, le tout avec la complicité apparente de responsables du FSB, les services de sécurité russes. D’après cet article, l’organisation aurait été impliquée dans le blanchiment de 26 millions de livres à travers des sociétés écran écossaises, dont quelque 1,5 million qui auraient fini dans sur son compte.

Une enquête ouverte par le Parlement de Moldavie en Novembre 2018 va plus loin encore, en affirmant qu’il existe des liens de dépendance entre l’ODF et le FSB. Les élus ont ainsi conclu que l’ODF était « impliquée dans des activités de subversion dirigées contre les institutions de la République de Moldavie, financées et commanditées par des services secrets hostiles à l’Etat ». Le rapport parlementaire qualifie Lyudmyla Kozlovska d' »arme stratégique sophistiquée » et dénonce des « techniques de blanchiment qui sont le propre des services secrets ».

La Moldavie souligne elle aussi une nouvelle fois que les « victimes » que l’ONG protège sont toutes multimillionnaires et impliquées dans des affaires de détournement et/ou de blanchiment. Mais malgré l’accumulation de preuves à son encontre, l’Open Dialogue Fondation a encore pignon sur rue à Bruxelles. Mme Kozlovska, après avoir été interdite de séjour dans l’espace Schengen du fait des activités très suspectes de son organisation, a même reçu un titre de séjour belge en mars dernier – rouvrant ainsi la porte de la bergerie européenne à une véritable meute de fraudeurs.

Par Christophe Nourissier, analyste politique, conseiller en stratégie et président de l’association la France et le Monde

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