Le parlement européen à Strasbourg © iStock

« Nous vivons la plus grande paralysie économique depuis les années 30, et pourtant la dictature n’est revenue nulle part »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Le centre politique est affaibli et les électeurs sont attirés par les ailes radicales », estime Jonathan Holslag (VUB). « Mais cette polarisation n’est-elle pas l’expression des réelles inquiétudes des gens sans que l’extrémisme ne domine rapidement pour autant?

On me dit souvent que la démocratie européenne est morte. Elle a perdu la confiance des citoyens et ne semble plus capable de servir leurs intérêts. Est-ce bien le cas ? En regardant le grand débat électoral en France, moi aussi j’ai été irrité par les fadaises de Marine Le Pen, ses tentatives molles de discréditer Emmanuel Macron et ses formules bon marché. Ce n’était pas beau à voir, mais les Français ont décidé : même si pour beaucoup Macron est un banquier lisse, ils ont trouvé que Le Pen – tout comme Geert Wilders aux Pays-Bas – ne faisait pas le poids. C’est particulier. Nous vivons la plus grande paralysie économique depuis les années trente, et cela fait presque dix ans que ça dure. Et pourtant, la dictature n’est revenue nulle part.

Il y a différentes approches académiques de la démocratie. Pour moi, il est essentiel que la démocratie nous protège contre la dictature. Beaucoup de Belges estiment peut-être que c’est essentiel, mais lors de mes voyages récents le long des frontières extérieures de l’Europe, j’ai été confronté chaque fois à ce nouveau fait : environ un cinquième de la population de l’Union européenne a vécu sous une dictature à un moment de sa vie, de l’Union soviétique à Salazar en passant par Franco. Pour le moment, la démocratie nous protège admirablement contre les excès funestes de l’abus de pouvoir et de l’oppression. Il y eu en effet quelques idées sinistres à propos de l’Europe. Pour l’instant, ils ne réussissent pas à convaincre la majorité d’électeurs. Même l’homme fort hongrois, Viktor Orban, se heurte à un non de sa population quand il essaie de déshabiller l’état de droit. La popularité de son parti Fidezs s’effrite.

Il n’est donc plus aussi simple qu’autrefois de concentrer le pouvoir. Cela entraîne un éclatement politique. Il n’y a pas de dictateur au pouvoir, mais à la place, nous sommes confrontés à l’impasse, la polarisation, et la dérive. Le centre politique est affaibli et les électeurs sont attirés par les ailes radicales. Mais cette polarisation n’est-elle pas l’expression des réelles inquiétudes des gens sans que l’extrémisme ne domine rapidement pour autant? Ne prouve-t-elle pas l’incapacité des partis du centre de regagner la confiance, pas à pas, pour qu’ils puissent se réinventer afin de regagner la confiance ou se muer en nouvelles forces politiques bienveillantes ? Peut-être faut-il renouveler les histoires politiques. Notre démocratie donne des signaux et le fait de façon assez dosée. Elle crée de l’espace pour la réflexion, la nuance, la diversité et les solutions.

Mais où restent ces solutions? Je le répète, je considère la démocratie d’abord comme un pare-feu contre la dictature. Ici, les gens peuvent faire participer leurs idées à la lutte pour le pouvoir. Il est peut-être normal que les solutions se dissolvent lentement. Au bout du compte, notre société est confrontée à des défis imprévus : notre économie se heurte à ses limites, notre environnement est sous pression, il y a un manque l’humanité, etc. Du coup, l’Europe a le devoir d’élever la civilisation à un niveau supérieur. Dans une dictature, on aurait déjà pris plus rapidement de grandes décisions. Mais ces décisions sont-elles bonnes ? Nous nous plaignons quand l’état dilapide quelques milliards pour sauver des banques, mais dans une dictature comme en Chine, cela a lieu à une échelle plus grande encore. Les décisions sont plus fermes, et les risques plus élevés.

La démocratie est un marché pour les idées. Je ne pense pas qu’on puisse attendre de la démocratie qu’elle livre la solution, mais qu’elle nous offre l’espace pour peser le pour et le contre des différentes décisions. Finalement, c’est aux citoyens, aux politiques et aux chercheurs de faire des propositions. Ensuite, il faut peser le pour et le contre. Il y a des menaces telles que le manque choquant d’attention pour l’histoire et la citoyenneté dans l’enseignement par exemple – pour Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis, une condition importante pour une démocratie qui fonctionne bien. Le manque de transparence dans les questions économiques et la confusion autour des responsabilités administratives représentent également un danger. Notre démocratie fait son travail et se montre très résiliente. Mais elle n’est pas infaillible. La façon dont nous l’utiliserons pour nous protéger contre les excès politiques et pour travailler aux décisions politiques convaincantes, décidera de sa survie.

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