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Non, il n’y a pas une horde de djihadistes parmi les réfugiés

Dans plusieurs messages, l’EI déclare qu’il a infiltré plusieurs milliers de ses combattants parmi les réfugiés. Est-ce crédible et devons-nous nous inquiéter ? Nous avons posé à la question à quatre spécialistes.

La fable démystifiée des milliers de combattants cachés parmi les réfugiés.

Dans une interview, en néerlandais, un passeur raconte qu’il est un membre de l’État islamique et que l’organisation a déjà réussi à faire passer en Europe des milliers de combattants en les mêlant de façon anonyme aux réfugiés. Selon ce passeur, les djihadistes profitent de la générosité des pays de l’ouest pour s’infiltrer en Europe. « C’est notre rêve d’étendre notre califat à travers le monde, on ne va pas tarder à y arriver » dit-il. « Vous verrez ». Dans un même temps, on a vu fleurir de plus en plus de photos sur Facebook qui représentent d’un côté la personne en djihadiste et de l’autre en tant que migrant.

Non, il n'y a pas une horde de djihadistes parmi les réfugiés
© Capture d’écran facebook

Il n’en fallait pas plus pour enflammer les réseaux sociaux. Mais les allégations du passeur et ses photomontages sont-ils une réalité ? Le magazine flamand Knack a posé la question à quatre spécialistes. Soit Rik Coolsaet (professeur des affaires internationales à Gand), Bilal Benyaich (politologue à la VUB et membre du conseil de direction de l’Itinera Institute), Montasser AlDe’emeh (expert en djihadisme et chercheur à l’université de Nijmegen) et Pieter Van Ostaeyen (historien, spécialiste du monde arabe et chercheur)

Coolsaet: « La vaste blague »

Rik Coolsaet
Rik Coolsaet

Pour Rik Coolsaet, cela ne fait aucun doute : « C’est de la vaste blague. Les services secrets et le coordinateur de la lutte contre le terrorisme en l’Europe sont formels : il n’existe pas la moindre indication de réseaux qui organisent de façon systématique l’envoi de combattants vers l’Europe. Je trouve même très trompeur de mélanger la problématique des réfugiés et des djihadistes. Celui qui fait cela a un agenda caché. » A la question « Est-ce que cela veut-il dire qu’il n’y a pas de membre de l’Etat islamique parmi les réfugiés ? », Coolsaet botte en touche : « Celui qui essaye de s’échapper de l’Etat islamique se fait exécuter. Il est donc probable que certains utilisent cette piste pour s’enfuir. »

Bilal Benyaich: « L’EI a besoin de tous ses combattants en Syrie et en Irak »

Bilal Benyaich
Bilal Benyaich© DR

Selon Benyaich, il est inévitable que l’on retrouve des islamistes, voire des djihadistes, parmi les réfugiés. « En partant des informations dont on dispose à ce jour, il n’y a pas de preuve qu’il s’agit de combattant avec une mission déterminée, même si cela ne peut pas être totalement exclu. Déterminer ce qui motive ces déplacements, c’est un peu comme deviner l’avenir dans le marc de café. Cela peut être des miliciens qui sont en délicatesse avec leur commandement, ou des combattants qui ont tourné le dos au conflit. Ou encore des combattants européens qui en profitent pour retourner chez eux. Il serait intéressant de faire une meilleure évaluation de leur motivation. Ce qui est certain par contre, c’est que parmi les réfugiés, on retrouve des gens qui ont lutté dans des milices. A Athènes, on a repéré des membres de la branche syrienne d’Al-Qaeda. Une branche qui n’a pourtant pas d’ambition hors de la Syrie et qui se concentre sur sa lutte contre Assad. Du moins pour le moment. »

Benyaich voit dans ces messages surtout une guerre de propagande. « L’EI souhaite avant tout insuffler l’angoisse en Europe et déstabiliser le vivre ensemble. Ce qui les intéresse, c’est de créer une polarisation totale entre les musulmans et les non-musulmans. Si l’Europe devenait hostile aux réfugiés, par peur des hordes de combattants, cela ferait le jeu des islamiques et de leur discours apocalyptique, tout en renforçant leur position.

Pour Benyaich, si des djihadistes rejoignent l’Europe, on est plutôt dans l’ordre de la dizaine que du millier. Le chiffre de 4000 combattants lui semble complètement surréaliste. « L’EI est une organisation fortement attachée à son territoire et qui vit de conquête de nouveaux territoires tout en consolidant ses nouveaux acquis d’une main de fer. Pour que cela soit possible, elle a besoin de tous ces hommes sur le terrain. L’organisation ne peut, pour l’instant, tout simplement pas se permettre d’envoyer quelques milliers de combattants vers l’Europe.

Van Ostaeyen: « Le nombre de terroristes cachés parmi les réfugiés se compte sur les doigts d’une main. »

Pieter Van Ostaeyen
Pieter Van Ostaeyen© DR

Ce dernier argument est aussi celui de Pieter Van Ostaeyen. « Je crois que d’éventuels membres de L’EI utilisent cette filière pour retourner vers l’Europe, mais j’ai beaucoup de mal à croire que c’est fait de façon systématique. » Il en veut pour preuve un témoignage qu’il a récolté auprès d’un Belge en Syrie. Selon lui, il est impensable que L’EI réduise consciemment ses troupes alors qu’il a besoin de tous ses hommes en Syrie et en Irak. « S’il y a des combattants parmi les réfugiés, ceux-ci se comptent sur les doigts d’une main. De toute façon l’infiltration en Europe est difficile pour les membres qui ont d’autres origines et elle n’est pour l’instant pas assez efficace parce qu’il n’y a pas de réseaux fonctionnels. L’EI fait confiance aux loups solitaires pour menacer l’Europe sur ses propres terres. »

Montasser AlDe’emeh: « L’EI s’acharne à polariser un maximum pour pouvoir recruter »

Montasser AlDe'emeh
Montasser AlDe’emeh© DR

Montasser AlDe’emeh remarque que L’EI veut bel et bien commettre des attentats en Europe. Pas seulement pour se venger des bombardements, mais aussi dans un but de polarisation. « De cette façon, L’EI donne des munitions toutes trouvées à l’extrême droite. Si les musulmans se sentent les victimes de haines et de représailles, cela facilite le boulot des recruteurs de l’EI. On ne doit pas non plus se montrer trop naïf et dire que l’EI ne cherche pas un moyen de commettre des attentats en Europe. Se mélanger à des réfugiés peut très bien être une option. Cela a peut-être même déjà été le cas, comme pour la cellule de Verviers. Mais des milliers ? C’est n’importe quoi. »

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