Muharrem Ince © Belga

Muharrem Ince, l’orateur pugnace qui défie Erdogan

Le Vif

Peut-il détrôner Recep Tayyip Erdogan ? Avec sa verve et sa pugnacité, Muharrem Ince est passé en quelques semaines du statut de trublion de l’opposition à celui de présidentiable capable de rivaliser avec l’homme fort de la Turquie.

Député du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) depuis 16 ans, M. Ince, âgé de 54 ans, est la révélation de cette campagne pendant laquelle il est parvenu à galvaniser une opposition lassée par les victoires électorales successives de M. Erdogan.

Cet ancien professeur de physique chimie est quasi-assuré d’arriver en deuxième position derrière M. Erdogan lors des élections générales de dimanche, et pourrait menacer le président turc dans un éventuel second tour en ralliant autour de lui une large coalition.

Avant ces élections, M. Ince était surtout connu pour être l’agitateur du Parlement, où ses discours passionnés et sa répartie cinglante sont régulièrement compilés en vidéos « best of » dont se délectent les internautes.

Ainsi, à un député de la majorité qui accusait le CHP de n’avoir pas été capable d’alimenter Istanbul en eau potable avant la prise de pouvoir de M. Erdogan, M. Ince a répondu : « Alors quoi, on ne buvait pas d’eau avant vous ? On carburait au diesel, peut-être ? »

Ce sens de la formule, le député du CHP l’emploie désormais en rendant coup pour coup à M. Erdogan, arpentant les estrades manches retroussées et sans cravate.

Critiquant la dérive autoritaire du chef de l’Etat, il promet de lever « sous 48 heures » l’état d’urgence en vigueur depuis près de deux ans, de revenir à un régime parlementaire ou encore de ne pas gouverner depuis le pharaonique palais présidentiel à Ankara.

« Energique »

« Dans son palais, Erdogan boit du thé blanc et mange des oeufs de caille », a-t-il lâché lors d’un meeting la semaine dernière. « Mais moi, mes frères, je mange les mêmes oeufs que vous et je bois votre thé noir ! »

S’il partage avec M. Erdogan un style combattif, M. Ince affirme qu’il sera « tout le contraire » du président turc s’il était élu.

« Depuis 16 ans, il y a un Erdogan qui (divise) la société. Moi, (…) je serai un président qui rassemble », a-t-il ainsi déclaré lors d’un récent entretien avec l’AFP à Yalova (nord-ouest), son fief familial et électoral.

Né dans un village près de Yalova au sein d’une famille modeste, M. Ince, qui est marié et père d’un enfant, se présente comme un homme proche du peuple, n’hésitant pas à danser ou à chanter selon la coutume locale de la ville où fait campagne.

« Ses supporters aiment son style. (…) Il est très énergique et n’a pas peur des polémiques », souligne Emre Erdogan, professeur de sciences politiques à l’Université Bilgi à Istanbul.

La popularité de M. Ince auprès de la base du CHP s’explique aussi par le contraste qu’il offre avec le style plus policé du chef du parti, Kemal Kiliçdaroglu, un homme d’appareil sans grand charisme.

M. Ince a d’ailleurs tenté à deux reprises d’arracher la direction du CHP à M. Kiliçdaroglu, mais sans succès.

Elargir la base

Champion du parti créé par le fondateur de la République Mustafa Kemal, M. Ince s’efforce de séduire au-delà. Lors de son investiture comme candidat du CHP, début mai, il avait symboliquement ôté son badge de parti pour le remplacer par un drapeau turc.

Ce message de rassemblement a permis à M. Ince de porter son message au-delà de l’électorat social-démocrate et farouchement laïque du CHP. Issu d’une famille conservatrice, M. Ince est souvent photographié avec sa mère et sa soeur qui portent le foulard islamique.

Le député de Yalova a en outre multiplié les appels du pied en direction de l’électorat kurde, historiquement méfiant envers le CHP qui a longtemps rejeté toute concession envers les minorités.

Après sa nomination comme candidat, M. Ince a notamment rendu visite à Selahattin Demirtas, le candidat du parti prokurde HDP écroué depuis plus d’un an et demi.

Certains observateurs estiment qu’en désignant M. Ince comme le candidat du CHP, M. Kiliçdaroglu entendait évincer ce député turbulent en lui faisant subir une humiliante défaite contre M. Erdogan.

« Son succès a été une surprise pour tout le monde », relève Emre Erdogan. Le président turc « aurait sans doute préféré avoir quelqu’un d’autre en face de lui ».

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