Le président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa. © AFP

Mnangagwa, l’impitoyable crocodile

Le Vif

Pendant plus de trente ans, il fut le serviteur zélé du président et autocrate zimbabwéen Robert Mugabe. A 75 ans, son successeur Emmerson Mnangagwa, arrivé au pouvoir en novembre à la suite d’un coup de force de l’armée, a confirmé dans les urnes son emprise sur le pays.

Surnommé le « crocodile » pour son caractère impitoyable, l’ex-combattant de la guerre de « libération » a été élu dès le premier tour avec 50,8% des suffrages, selon les résultats officiels annoncés vendredi.

Pendant la campagne, Emmerson Mnangagwa a parcouru le pays, une écharpe aux cinq couleurs du Zimbabwe autour du cou, en homme du changement, lui qui fut pourtant le bras droit de Robert Mugabe pendant près de quatre décennies avant d’être renié par son mentor.

« Nous sommes à l’aube d’un nouveau Zimbabwe, dont nos enfants seront fiers », a-t-il répété ces dernières semaines, promettant la relance de l’économie, sortie exsangue du règne de Robert Mugabe.

Emmerson Mnangagwa a été installé à la tête du pays en novembre par un coup de force de l’armée et du parti au pouvoir, la Zanu-PF, soucieux d’empêcher la Première dame Grace Mugabe de succéder le moment venu à son mari nonagénaire.

Avec le soutien de l’appareil d’Etat et de la Zanu-PF, qui contrôle le pays depuis son indépendance en 1980, Emmerson Mnangagwa faisait figure de favori pour la présidentielle.

Mais il revient de loin.

En novembre dernier, celui qui était alors vice-président a été limogé, victime des ambitions politiques Grace Mugabe. Craignant pour sa vie, Emmerson Mnangagwa fuit alors en catimini vers le Mozambique voisin, avec pour seul bagage une valise de billets.

Bloqué par les garde-frontières, il racontera avoir échappé de peu à la mort. « Ils ont essayé de me tirer dessus mais (…) un de mes fils jumeaux qui était avec moi a pu se saisir de l’arme et je m’en suis sorti indemne ».

– « Trahison » –

Deux semaines plus tard, Emmerson Mnangagwa fait un retour triomphal dans la capitale Harare. L’état-major, hostile à toute succession familiale, a placé le « camarade Bob » en résidence surveillée et l’a contraint à démissionner.

L’ami des généraux tient sa revanche. Il prend immédiatement les commandes du pays.

« Une trahison », fulminera plus tard le chef de l’Etat déchu depuis sa retraite dorée de Harare. « Je n’ai jamais imaginé (…) qu’il serait celui qui se retournerait contre moi. »

Car dès son arrivée au pouvoir en 1980, Robert Mugabe a fait de son compagnon d’armes un de ses favoris, lui confiant des ministères importants comme la Défense ou les Finances.

Son ambition vaut toutefois à Emmerson Mnangagwa de solides rancunes dans son camp.

En 2004, il est rétrogradé dans la hiérarchie du parti pour avoir intrigué pour le poste de vice-président. Il ne l’obtiendra finalement que dix ans plus tard.

En 2017, ses proches accusent l’entourage de sa rivale Grace Mugabe d’avoir voulu l’empoisonner.

Et en juin dernier, le chef de l’Etat échappe de peu à un attentat à la grenade qui tue deux de ses gardes du corps à la fin d’une réunion électorale à Bulawayo (sud). Il accuse, encore, les partisans de l’ex-Première dame, « mécontents de l’actuel gouvernement démocratique du pays ».

– « Détruire et tuer » –

Né le 15 septembre 1942 dans le district de Zvishavana, dans le sud d’un Zimbabwe alors britannique, le jeune Emmerson Mnangagwa a grandi en Zambie.

Fils d’un militant anticolonialiste, il rejoint en 1966 les rangs de la guérilla indépendantiste qui fait le coup de feu contre le pouvoir de la minorité blanche. Arrêté après un sabotage, il échappe à la peine capitale et purge dix ans de prison.

Emmerson Mnangagwa expliquera avoir appris, lors de ces années de lutte, à « détruire et tuer ». Chrétien pratiquant et austère, le « Crocodile » ne verse guère de larmes…

Chef de la sécurité nationale, il dirige en 1983 la brutale répression dans les provinces dissidentes du Matabeleland (ouest) et des Midlands (centre), qui fait environ 20.000 morts.

« Ce qui est arrivé est arrivé », a récemment lâché le nouveau président, concédant toutefois que l’épisode constituait une « tache » dans l’histoire du Zimbabwe.

En 2008, il est chargé des élections et supervise les fraudes et les violences qui permettent à Robert Mugabe de conserver le pouvoir, malgré sa défaite au premier tour. Son zèle répressif lui vaut des sanctions internationales.

Pour toutes ces raisons, son principal rival à la présidentielle, Nelson Chamisa, qualifie Emmerson Mnangagwa de « représentant du passé », prêt à tout pour garder le pouvoir.

Imperturbable, l’intéressé assure qu’il n’en est rien. « Je suis doux comme un agneau », a-t-il récemment confié. La répression militaire meurtrière cette semaine contre des opposants qui criaient à la fraude laisse pourtant penser le contraire.

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