Monstre sacré du petit écran, Michel Denisot réalise un premier film qui s'en inspire. © Hadrien Dure/Isopix

Michel Denisot :  » Je trouve encore mon compte à la télévision « 

Le Vif

Avec son premier film, Toute ressemblance…, Michel Denisot ajoute la casquette de réalisateur à celles de présentateur, animateur, directeur, journaliste, producteur et dirigeant de clubs de foot. Rencontre avec un sacré touche-à-tout.

Et à 74 ans, son premier film. Toute ressemblance…(1), avec Franck Dubosc, Caterina Murino, Jérôme Commandeur, Sylvie Testud, Denis Podalydès, Alain Delon… Michel Denisot aura donc tout fait. Engagé comme homme à tout faire à l’ORTF en 1972, coprésentateur avec Yves Mourousi et Claude Pierrard du 13 heures de TF1 deux ans plus tard, il a aussi été ensuite, entre autres, commentateur sportif (toujours sur la première chaîne privée française), présentateur/producteur/directeur à Canal+ et président du Paris Saint-Germain. Rencontre avec un réalisateur cinéma néophyte mais un incontournable des médias.

Je montre l’envers du décor. Mais je le fais avec un peu de tendresse et d’affection.

Vu votre parcours professionnel, raconter l’ascension et la chute d’une star du JT de 20 heures, mais aussi les coulisses d’une grande chaîne de télévision, tombait sous le sens ?

C’est arrivé par hasard mais comme chacun le sait, il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous. Un jour à Cannes, après un dîner où je ne voulais pas aller mais qui s’est avéré sympathique, j’ai commencé à raconter des histoires de télé. A deux heures du matin, la patronne d’UGC (NDLR : Brigitte Maccioni) me glisse qu’il faut en faire un film. Et à deux heures du matin, parfois, on dit oui à n’importe quoi. J’ai dit oui en pensant :  » Bon, on verra demain…  » Et le lendemain, elle m’a confirmé que ce n’était pas une conversation de fin de repas, qu’il fallait que j’y réfléchisse.

Franck Dubosc incarne dans Toute ressemblance... un présentateur du 20 heures dont la vie privée comme professionnelle va soudainement basculer.
Franck Dubosc incarne dans Toute ressemblance… un présentateur du 20 heures dont la vie privée comme professionnelle va soudainement basculer.© dr

Si Toute ressemblance… ne passe pas inaperçu, ce ne sera pas uniquement parce que Franck Dubosc joue le rôle principal, c’est aussi parce que vous êtes qui vous êtes… A l’annonce du film, on a ainsi vite pu lire des choses comme  » Michel Denisot balance tout !  »

Non, non, je ne balance rien ! Je montre l’envers du décor effectivement, mais qui, pour les gens des médias, n’est pas une énorme surprise. Pour le public, ça en sera certainement une. Mais je le fais avec un peu de tendresse et d’affection, parce que c’est un monde que j’aime, dans lequel j’ai vécu. Et je ne vise personne tout en racontant tout le monde. A un moment donné, personne n’est entièrement le personnage, mais ça peut être untel, puis untel… J’ai la fantaisie de la fiction avec moi. C’est ce que dit la phrase de Boris Vian sur le carton au début du film :  » L’histoire est vraie puisque je viens de l’inventer.  » Mais ça commence par  » l’histoire est vraie « …

Et ça se termine par ces mots :  » C’est la fin d’une époque.  » Vous ne faites pas juste référence à la carrière du personnage ?

Non, sa chute correspond à la fin d’une époque. On voit à l’écran que sa chute annoncée sur YouTube fait plus d’audience que le journal. C’est assez symbolique du changement.

Le vedettariat à la télévision, ces présentateurs qu’on appelle par leurs initiales : ça n’existe plus aujourd’hui ?

Peut-être que ça change aussi, ça. Le vedettariat du 20 heures change également, mais enfin, ça reste quand même fort. D’un autre côté, Anne-Sophie Lapix, on ne l’appelle pas ASL.

Et PPDA qu’on voit et qu’on entend à la fin du film, il en a pensé quoi ?

Pour l’instant (NDLR : le jour de notre interview), il n’y a qu’Anne-Sophie qui l’a vu. De mémoire, elle m’a dit que c’était drôle, piquant et parfois effrayant, mais que c’était vraiment ressemblant.

On imagine jusqu’aux coups tordus entre collègues, dans les coulisses. Ou aux accointances avec le pouvoir ?

Je pense que c’est comme ça dans tous les milieux. J’ai mis tout cela en scène dans le monde de la télé parce que c’est le monde que je connais et que j’ai du crédit là-dessus, mais on peut raconter à peu près la même histoire dans le monde des affaires, en politique, dans le show-business. Des trajectoires de gens qui arrivent tout en haut et qui durent, autour desquels ça bouge, et plus dans le vice que dans la vertu, c’est très fréquent.

On n’a jamais autant parlé du journalisme en France que ces temps-ci. Les rapports entre les médias et l’Elysée, le traitement de sujets comme les gilets jaunes ou le voile… Le journalisme a-t-il fort changé depuis que vous avez commencé comme pigiste ?

Le journalisme a changé parce que le monde a changé, les moyens de communication ont changé. Dans une première période de ma vie, le journalisme était, disons, plus dominé par le monde politique, qui choisissait les patrons, qui avait la main sur la télévision. Aujourd’hui, c’est quasiment fini. Il a encore un peu d’influence, mais c’est insignifiant par rapport à celle du monde des affaires et des annonceurs. Le pouvoir est là. Les chaînes d’info, les chaînes de télé appartiennent à des grands groupes. Il y a une indépendance, qui doit exister dans les rédactions, je l’espère, je l’imagine, et je pense que c’est le cas la plupart du temps, mais c’est plus fragile. Enfin, comme ça l’a toujours été.

Entouré de Gérard Depardieu, à sa gauche, et d'André Rousselet, président de Canal +, Denisot anime, le 4 novembre 1984, la première émission de la chaîne cryptée.
Entouré de Gérard Depardieu, à sa gauche, et d’André Rousselet, président de Canal +, Denisot anime, le 4 novembre 1984, la première émission de la chaîne cryptée.© PIERRE VERDY/belgaimage

On ne décroche jamais vraiment, comme on l’entend dans le film ?

Je pense qu’il est difficile d’abandonner, de lâcher de son propre gré la notoriété énorme et les facilités dans la vie que ça amène. On n’attend nulle part, quoi, on vit dans la flatterie… Alors on croit ce qu’on veut, bien sûr. Et pourquoi on le fait ? Il y a parfois des raisons qu’on ignore, et on les découvre quand on arrête. Personne ne le fait innocemment, en tout cas : si on veut être connu, c’est qu’il y a une raison. Et si on ne veut pas devenir ce que devient le personnage, il faut avoir des assises un peu solides dans sa vie personnelle.

On ne se dira pas que  » c’était mieux avant « , mais vous n’êtes pas un peu nostalgique d’une chose ou l’autre ?

Je ne suis nostalgique de rien, ce n’est pas dans mon tempérament. La nostalgie, ça peut être bien, mais je m’intéresse surtout à ce que je fais aujourd’hui, à ce que je vais faire demain plutôt qu’à ce qui s’est passé hier. Comme tout le monde, j’ai des choses qui remontent de temps en temps, mais je ne couche pas avec.

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Le journalisme, en soi, on n’en décroche pas non plus ?

Non ! Jamais ! C’est un appétit qu’on a, une chance, parce que c’est quand même formidable d’être curieux de tout, tout le temps. Et durant sa vie active, en faire son métier, c’est quand même un privilège.

Votre média idéal, ce serait plus une question de contenu ?

De contenu ! Je trouve encore mon compte à la télévision : je regarde pas mal Arte et France 5, les journaux aussi, de temps en temps les émissions d’access. Je ne suis pas collé devant la télé : ma vie a été réglementée par ses horaires, donc je m’en libère. Mais je regarde de temps en temps, parce que je suis curieux de ça. J’aime voir les audiences tous les jours, ce qui se passe, mais je ne suis plus dans le game, comme disent les gens plus jeunes que moi.

Ce  » journalisme des bonnes nouvelles  » évoqué dans Toute ressemblance…, servirait-il à quelque chose ?

Pfff… Je pense qu’on n’est pas dans l’état d’esprit à chercher ça aujourd’hui. On cherche plus les mauvaises nouvelles et les polémiques. Les réseaux sociaux sont venus tout bousculer et à toute vitesse. Il ne faut pas courir derrière quand on fait de l’information. Il faut courir à côté et faire attention. Le journalisme, ça demande de la rigueur, de la pertinence, de l’expertise, ce que les journaux ont de moins en moins le temps d’avoir, parce que tout ça coûte cher, et ça ne rapporte pas forcément assez. Ce n’est pas juste une question de marketing. Aujourd’hui, si on veut, on est quand même informé quasiment en temps réel. Avec beaucoup de conneries, mais aussi sérieusement. Les comptes Twitter des journaux, ce sont les journaux, donc il faut qu’ils trouvent leur économie là-dedans. Et qu’ils gardent leur marque papier.

L’évolution de la télévision vous inquiète ?

Aujourd’hui, il y a les plateformes, les films passent à la télé de plus en plus tôt… Et la télé a plus de succès avec les séries qu’autre chose. Egalement avec les grands événements sportifs, évidemment, et quelques grandes soirées électorales. Le reste du temps, elle n’est plus événementielle, parce qu’il y a trop, et il faut que l’événement soit très, très fort pour qu’on se dise que tel jour à telle heure, on va regarder la télé par millions. Le 20 heures reste quand même encore une place forte de la télévision : en venant ici, je voyais que les 20 heures de TF1 et France 2, à eux deux, avaient fait 11 millions de téléspectateurs. C’est quand même encore beaucoup. Oui, ça reste une place forte de la télévision, et c’est aussi la matière première de beaucoup de réseaux sociaux.

Quid du formatage ? La télé n’est-elle pas aussi devenue trop lisse ?

Oui, on sent qu’aujourd’hui le cadre est de plus en plus étroit pour la fantaisie. Alors oui, on dit qu’untel ou untel manque, mais diffusez le sketch de Desproges sur les Juifs, vous allez voir ce qui va se passer ! Et même certains sketches de Coluche. Je suis d’accord que ça manque, mais qui le passerait aujourd’hui ? Ou même certains films : le mec qui va tourner Les Galettes de Pont-Aven aujourd’hui, il est crucifié !

Canal+ en a souffert aussi, aux dépens de son esprit, de son humour ?

Oui, oui… Mais c’est normal que les choses changent et évoluent. L’humour Canal a vieilli aussi, il est donc naturel qu’il y ait autre chose. Après, est-ce que c’est à notre goût ? On a encore le droit de dire oui ou non. Et de regarder ou pas.

Entretien : Didier Stiers

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