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Mexique : l’arrestation d' »El Chapo »ou la mission pas accomplie

Le Vif

En annonçant la capture du baron de la drogue Joaquin « El Chapo » Guzman, le président mexicain Enrique Pena Nieto s’était félicité en lançant un « mission accomplie ! », mais cela ne résout en rien les problèmes de sécurité et de corruption dont souffre le pays, selon les experts.

Alors en réunion diplomatique, des membres de son gouvernement s’étaient donné l’accolade avant d’entonner l’hymne national pour fêter l’arrestation du narcotrafiquant le plus recherché au monde. Mais les analystes n’ont pas tardé à calmer cet enthousiasme, certains comparant le message triomphant du président mexicain à celui de George W. Bush annonçant en mai 2003 depuis un porte-avion la fin des combats en Irak sous la bannière « Mission accomplie ». Ce n’était « pas une bonne idée d’annoncer la capture du baron de la drogue, qui s’est évadé deux fois de prison » par ces mots, commente l’historien Lorenzo Meyer, dans un texte publié par le quotidien Reforma. Le gouvernement affirme que le nombre de meurtres a fortement diminué dans le pays depuis le début de son mandat en décembre 2012, mais les experts doutent de ces affirmations et des chiffres qui les accompagnent.

« Nous avons encore des défis, mais nous les affrontons avec vision et détermination », a déclaré lundi le président Pena Nieto dans son discours de Nouvel An, soulignant que 98 des 122 criminels les plus recherchés du pays avaient été arrêtés. Quant à l’affaire toujours non résolue des 43 étudiants disparus, enlevés en septembre 2014 par des policiers corrompus et probablement assassinés par un cartel, elle continue de hanter le mandat du président.

Mission « pas » accomplie

En 2018, une fois la présidence Pena Nieto achevée, après six ans de pouvoir, « on se rendra compte que la capture d’+El Chapo+ n’aura servi à rien pour résoudre les problèmes de trafic de drogue, la violence n’aura pas diminué et pourrait même augmenter », estime le député Victor Manuel Sanchez Orozco, du parti Mouvement citoyen (gauche). « La mission n’est pas accomplie ».

Si la capture de Guzman est un succès, le gouvernement doit aussi combattre la corruption qui a probablement permis cette évasion, ont souligné plusieurs membres de l’opposition. L’administration Pena Nieto avait été humiliée par l’évasion spectaculaire d' »El Chapo » d’une prison de haute-sécurité grâce à un tunnel de 1,5 kilomètre, le 11 juillet 2015, 17 mois seulement après son arrestation. Les autorités avaient alors lancé 2.500 personnes à ses trousses, ce qui a permis son arrestation la semaine dernière à Los Mochis (nord-ouest).

En remettant Guzman derrière les barreaux, le gouvernement a « simplement effacé une erreur », analyse Jose Antonio Crespo, expert politique au Centre de recherche et d’enseignement économiques (Cide). « Cela va améliorer son image publique. Cela va donner un peu d’air au gouvernement » mais l’embellie probable dans les sondages sera de courte durée, anticipe l’expert. Selon un sondage réalisé cette semaine par le quotidien El Universal, 77% des Mexicains pensent que Guzman s’échappera de nouveau de prison, signe que « la défiance à l’égard des institutions continue », selon Crespo. Le gouvernement Pena Nieto, qui s’était refusé à extrader le puissant narcotrafiquant aux Etats-Unis avant son évasion, a finalement déclenché la procédure tout en renforçant la sécurité dans la prison où il a été pour l’heure incarcéré.

Crime organisé

Christopher Wilson, directeur-adjoint de l’Institut Woodrow Wilson à Washington, considère que l’arrestation du chef du cartel de Sinaloa est « un triomphe absolu » pour Pena Nieto. Mais « en même temps, ce n’est qu’un individu. Les problèmes du Mexique ne seront pas résolus en mettant quelqu’un derrière les barreaux », nuance-t-il. Pour cela, il faut « des institutions comme la police, des juges, des procureurs qui, au quotidien, mettront la pression sur le crime organisé ». Selon M. Wilson, le gouvernement Pena Nieto a lancé des mesures pour réformer le système judiciaire et ses réformes économiques qui ont été saluées à l’étranger, mais il laissera un bilan « mitigé » sur la question de la sécurité. L’arrestation de Guzman n’est pas de nature à modifier « la trajectoire d’une présidence », estime l’expert.

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