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Matteo Salvini et l’extrême droite triomphante

Muriel Lefevre

Cet homme de 45 ans a réussi à placer son parti d’extrême droite au centre des dernières élections italiennes. Au point d’envisager très sérieusement de diriger l’Italie et de faire trembler l’Europe. Qui est cet allié du Front national français et admirateur de Poutine et de Trump qui s’en prend avec virulence aux immigrés, à l’islam et à l’euro ? Portrait.

Avec un vote marqué à la fois par le rejet des partis traditionnels, l’exaspération face au marasme économique et les tensions autour des migrants et de l’Union européenne, l’Italie s’inscrit dans la lignée du Brexit, de la victoire de Donald Trump et de la poussée de l’extrême droite ailleurs en Europe. « Pour la première fois en Europe, les forces antisystèmes l’emportent », a résumé l’éditorialiste du quotidien La Stampa. En attendant, la lutte est engagée entre le Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste) et la Ligue (extrême droite). Elle risque d’être longue et sanglante. Les deux partis sont devenus majoritaires et chacun revendique le pouvoir, tout en excluant une alliance « eurosceptique » entre eux. Or une absence probable de majorité pour la coalition de droite/extrême droite comme pour le M5S va contraindre les leaders politiques italiens à des tractations qui s’annoncent longues et complexes, plongeant l’UE dans l’expectative. « Soit on aura un gouvernement très à droite qui bloque, soit un gouvernement faible qui du coup ne pèse pas. Mais dans les deux cas, l’Italie ne sera pas dans le train de l’Europe », prédit Sébastien Maillard, directeur de l’institut Jacques Delors. « On risque d’avoir un pays en sourdine pendant quelque temps, peut-être quelques années. Il ne pourra pas peser sur les grandes orientations de l’Europe à un moment déterminant pour son avenir », ajoute encore Maillard.

Le ‘Droit et devoir de gouverner’

Avec plus de 32% des voix remportées dimanche aux élections législatives, le Mouvement 5 Etoiles (M5S), ce mouvement antisystème qui s’est construit sur le rejet de la vieille classe politique jugée corrompue ou déconnectée, est aujourd’hui la première force politique en Italie. Mais en dépit de ce score historique pour un mouvement dont c’était seulement la deuxième élection nationale, rien ne dit qu’il sera en mesure de gouverner, faute de majorité au Parlement.

Deux options sont sur la table pour le M5S : une alliance avec le Parti démocrate (PD, centre-gauche) de Matteo Renzi ou avec la Ligue (extrême-droite) de Matteo Salvini, arrivé en tête au sein de la coalition de droite, devant Forza Italia de Silvio Berlusconi. Ces deux formations ont rejeté ce scénario, mais la démission annoncée de Matteo Renzi pourrait faciliter un rapprochement avec le PD, après le départ de son chef.

Si cela bloque, l’option de la coalition de la droite et de l’extrême droite reprendra du poil de la bête.

Mais celle-ci semble quelque peu bancale , car au son sein de cette coalition, c’est la Ligue, formation eurosceptique et anti-immigration de Matteo Salvini, proche du Front national (FN) français, qui a largement devancé le parti de Silvio Berlusconi (17,4% contre 14%). Et c’est Salvini qui revendique désormais la direction du gouvernement. « L’engagement a été pris au sein de la coalition: qui l’emporte peut gouverner », a-t-il lancé avant de se rendre dans l’après-midi chez Berlusconi. La coalition « est le vainqueur politique de ces élections. Après cinq ans, elle représente la première force politique du pays » et doit pouvoir appliquer son programme, des baisses d’impôts à la lutte contre l’immigration, a ensuite fait valoir M. Berlusconi dans un très attendu communiqué. Le milliardaire avoue son échec sans pour autant explicitement se ranger derrière M. Salvini. Il appellera seulement à « renforcer la coalition qui devra obtenir le mandat de gouverner l’Italie ». Tout cela ne s’est donc pas fait avec beaucoup d’entrain. De quoi plomber la mise en orbite de Salvini.

Matteo Salvini et l'extrême droite triomphante

Qui est Salvini ?

Il a repris un parti sécessionniste au bord du gouffre il y a quatre ans et l’a transformé en une formation nationaliste triomphante: avec son « Les Italiens d’abord! », Matteo Salvini a réussi son pari de s’emparer de la droite italienne. Pour ces législatives, ce Milanais volubile et décidé qui aura 45 ans vendredi a effacé le mot « Nord » du nom de son parti et fait campagne tous azimuts, dépassant à la surprise générale son allié de droite Silvio Berlusconi.

Matteo Salvini est né et a grandi dans la capitale lombarde, fils d’un chef d’entreprise et d’une mère au foyer: collège catholique, scoutisme et matches du Milan AC. Il a adhéré à la Ligue du Nord en 1990, à l’âge de 17 ans, attiré par le slogan « Je suis Lombard, je vote Lombard », par le charisme du fondateur Umberto Bossi et par le caractère « révolutionnaire » de ce parti « redouté par le pouvoir », a-t-il raconté.

Il a partagé sa jeunesse entre le militantisme, la fac fréquentée sans conviction ni persévérance (sciences politiques puis lettres puis histoire) et les petits boulots (livreur de pizza, employé dans une sandwicherie au coeur de Milan). Conseiller municipal de Milan à 20 ans, il est ensuite devenu journaliste au quotidien La Padania et à la radio Padania Libera, deux organes proches de son parti, peaufinant son aisance orale. Et en 2004, cet eurosceptique est entré au Parlement européen. À mesure que son étoile personnelle montait, son parti s’enfonçait dans la crise. Umberto Bossi a certes été plusieurs fois ministre de Silvio Berlusconi, mais il a été diminué par une attaque cérébrale en 2004 puis balayé par un scandale de détournement de fonds publics en 2012.

‘Communiste à l’ancienne’

C’est dans ce contexte que Matteo Salvini a pris la tête d’un parti qui n’avait pu faire mieux que 4% aux législatives de 2013. Au grand dam d’une frange originelle de la Ligue du Nord, il a changé le discours, délaissant les ambitions sécessionnistes au profit d’un discours fédéraliste et tournant vers Bruxelles les diatribes que son mentor Bossi lançait contre le gaspillage et les diktats de Rome. Le discours plaît: très vite, la Ligue est grimpée à 12-14% dans les sondages avant la consécration de dimanche.

Désormais allié avec le Front national français, admirateur affirmé de Vladimir Poutine et de Donald Trump, il s’en prend avec virulence aux immigrés –qu’il appelle systématiquement « clandestins »–, à l’islam, à l’euro, aux unions homosexuelles…

Marine Le Pen et Matteo Salvini
Marine Le Pen et Matteo Salvini © Reuters

« J’ai tout entendu: je suis un criminel, un raciste, un fasciste. Je fais peur à une petite fille de 7 ans (dont la mère adoptive a raconté qu’elle avait peur d’être renvoyée en Afrique). Elle ne doit pas avoir peur. Ce sont les trafiquants de drogue nigérians qui doivent avoir très peur de Salvini », a-t-il lancé en fin de campagne. « Je me sens plus de gauche que Matteo Renzi. Je suis communiste à l’ancienne, je connais plus d’usines que ces gens qui ne fréquentent que des banquiers », raille-t-il aussi parfois.

Avec son aplomb et ses sweat-shirts frappés de slogans comme « l’Italie aux Italiens » ou « #Renziacasa » (Renzi rentre chez toi), ce barbu un peu rond et toujours en colère est devenu omniprésent dans les médias.

Mais c’est surtout sur les réseaux sociaux qu’il a martelé son message: à ses 640.000 abonnés sur Twitter et plus de 2 millions sur Facebook, il envoie à longueur de journée des commentaires, des vidéos à chaud, des photos de ses activités, de ses rencontres, de ses repas… Avec un ton direct qui ne s’embarrasse pas du politiquement correct.

Il lui arrive aussi d’évoquer sa fierté devant ses deux enfants, 14 ans et 5 ans, nés de deux unions différentes. Mais il se fâche quand la presse l’interroge sur ses amours apparemment compliquées avec une animatrice de télévision.

Avec l’AFP

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