Christian Makarian

Mali : l’intérêt du monde

Le don de sa propre vie, prix ultime de l’engagement dans le métier des armes, est soudain venu rappeler une vérité cruelle : le sacrifice des soldats français tombés au Sahel et le deuil de leurs familles suscitent bien davantage le sentiment d’appartenance nationale que les expéditions lointaines.

Le chef d’état-major des armées, le général Lecointre, affirme très dignement son volontarisme :  » Si je pensais cette mission impossible, il y a longtemps que j’aurais changé de métier.  » Mais il exprime aussi son réalisme et son esprit de responsabilité :  » Je crois que nous n’atteindrons jamais une victoire définitive. Contrairement aux grands conflits du xxe siècle, jamais les armées françaises ne défileront en vainqueur sous l’Arc de Triomphe.  » Avec 41 militaires tombés depuis 2013, le cas du Mali n’est pas un sujet de polémique en France ; il oblige à méditer sur la dichotomie entre la profonde justesse de la cause – le combat contre le djihadisme ravageur – et l’étendue imprédictible du risque.

La France est soudain apparue seule. Il est vrai qu’elle ne l’est pas complètement. De manière variable, les pays membres de l’Union européenne sont présents à travers sept différentes participations civiles et militaires. L’opération Barkhane bénéficie du soutien de partenaires européens, notamment britanniques, danois et estoniens, qui apportent un soutien logistique très précieux. Une mission d’entraînement et de formation européenne (EUTM) regroupe près de 600 hommes de 22 nationalités (France en tête, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, République tchèque, Belgique…). Un autre groupement, EUCAP Sahel Mali, appuie la formation des cadres de la police. Ajoutons que l’Allemagne dispose au Mali de son plus fort contingent stationné hors d’Europe. A l’instigation d’Emmanuel Macron, une coalition européenne des forces spéciales, la force Takuba, est en cours de formation pour appuyer les armées de la région sahélienne et vient de recevoir le renfort de la Belgique, de la République tchèque, de l’Estonie.

Certes. Mais la France demeure en première ligne, au contact, au corps à corps parfois ; ses 4 500 hommes portent l’essentiel de la charge. Pourtant, au Mali, c’est le monde entier qui est mis au défi, ce sont de nombreuses nations qui se trouvent concernées – et d’autres qui devraient l’être davantage. Aux pertes françaises s’ajoutent celles, considérables, subies par les pays africains que les Occidentaux tiennent à bout de bras au sein du G5 Sahel, mais aussi les nombreux morts (129 à ce jour) déplorés au sein des casques bleus de la Minusma, mission constituée par l’ONU qui n’a pourtant pas vocation à faire la guerre aux terroristes. La menace d’enlisement est globale.

Les Etats-Unis en sont conscients, tout en restant prudents. Ils dispensent de l’armement, des matériels divers aux pays de la région ; ils disposent de forces spéciales sur place, de moyens de renseignement, d’une base stratégique au Niger et ils offrent des aides financières importantes. Quant à la Russie, preuve supplémentaire de l’enjeu, elle manifeste un intérêt croissant pour le conflit en jouant un rôle ambigu ; elle profite de l’impopularité des Occidentaux auprès des populations africaines pour proposer des aides modestes et une sympathie qui ne coûte rien (un accord militaire a été signé en juin 2019 entre l’Etat malien et le Kremlin).

La situation est suffisamment préoccupante pour que le Sahel n’ait pas à pâtir de surcroît des divergences entre partenaires européens, notamment entre Français et Allemands, sur le sujet plus général de la défense de l’Europe. En déclarant l’Otan  » en état de mort cérébrale « , Emmanuel Macron a voulu créer un électrochoc ; il s’est surtout attiré la vive riposte d’Angela Merkel, qui pense exactement le contraire. Or, au Mali, la France ne peut plus agir sans ses alliés.

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