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Mali : après le putsch, une impression de chaos flotte à Bamako

Ils ont renversé le président Amadou Toumani Touré en quelques heures seulement. Mais les soldats du CNRDRE qui ont mené le coup d’Etat savent-ils vraiment où ils vont ?

Les putschistes maliens suivent leur cap: la diagonale du flou. Et non la marche au pas en ordre serré. Ce vendredi matin, un climat étrange et délétère flotte sur Bamako, cocktail de peur, d’incertitude, d’anarchie, de désarroi et de sourde colère. D’autant que les meneurs du coup d’Etat politiquement fatal -pour l’heure- au président élu Amadou Toumani Touré s’en tiennent depuis une vingtaine d’heures à un insolite silence radio. A quand le prochain communiqué de leur Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat, ou CNRDRE? Mystère.

Ce flottement reflète à première vue un singulier amateurisme. La troupe n’a pas à ce stade, semble-t-il, rallié à sa cause le moindre officier supérieur, appelé à endosser l’uniforme de la figure de proue respectée. Sur l’échiquier politique, seul Oumar Mariko, leader du Sadi (Solidarité africaine pour le développement et l’indépendance), l’unique parti d’opposition représenté es-qualité à l’Assemblée, approuve le pronunciamiento et guigne ostensiblement un portefeuille au sein d’un virtuel et fantomatique « Gouvernement inclusif d’union nationale ». Effet d’aubaine à l’évidence.

Scènes de pillage à Bamako

Il y a pire: les pillages commis depuis jeudi au coeur de la capitale Bamako ternissent déjà l’image d’une mutinerie dont la raison d’être affichée -le ras-le-bol d’une troupe dépourvue des moyens idoines pour combattre dans le Nord la rébellion touarègue et les foyers djihadistes- suscitait pourtant une indéniable sympathie. Du 4×4 du diplomate européen, « arraché » à la pointe de la kalachnikov’, au supermarché dévasté, les soudards opérant sous l’étendard du CNRDRE risquent de s’aliéner dans un même élan le peuple bamakois et les chancelleries occidentales. Si les chefs de la soldatesque ne parviennent pas à enrayer sans délai de tels méfaits, la « fraternisation » risque fort de s’enliser.

La confusion régnant quant au sort d’ATT alimente l’impression de chaos. Contacté ce matin vers 9h, un de ses proches nous disait être toujours sans nouvelle de lui. A-t-il, comme le soutient son entourage, trouvé refuge dans un camp militaire avec le noyau dur des Bérets rouges de la Garde présidentielle? Certes, il serait hasardeux d’imaginer une contre-offensive loyaliste. Reste que l’ombre de l’ancien général flotte sur Bamako.

Des putschistes amateurs

Autre indice du caractère spontanéiste, voire improvisé, du passage à l’acte des redresseurs de torts en treillis: jeudi, peu après l’irruption des mutins sur les écrans de l’ORTM, l’auteur de ces lignes a reçu par courriel un texte virulent détaillant en sept points « les buts » des insurgés. Contacté, l’expéditeur, qui se présente comme un médecin généraliste installé à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Essonne), se prétend « porte-parole à l’international » du Comité. A ma demande, il s’est engagé à transmettre à Bamako mon souhait d’un échange direct par téléphone. Depuis, rien.

Les ambiguïtés évoquées ici ont un corollaire diplomatique, qu’atteste le durcissement, patent au fil des heures, de la réprobation internationale. Passé les palinodies initiales, tous les partenaires, africains ou pas, du Mali, ont puisé dans le catéchisme en vigueur les termes de leur blâme. De l’Union africaine à l’ONU, de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à l’Europe des 27, de l’Organisation internationale de la Francophonie au Département d’Etat américain, tous « condamnent fermement » le putsch et exigent le « retour immédiat à l’ordre constitutionnel ». Pour la France, que l’on sait encline à fustiger le « laxisme » d’ATT envers le péril islamiste, l’exercice s’apparente à un rétropédalage acrobatique. Car les commentaires initiaux suggéraient que Paris pourrait entériner de facto le coup de force, pourvu que l’ordre régnât et que le calendrier électoral fut grosso modo respecté.

A l’instant T, la douteuse épopée des soldats putschistes semble se heurter à deux paradoxes. Eux qui prétendent agir au nom de l’intégrité territoriale et de la démocratie offrent à la rébellion touarègue, dans la pagaille ambiante, l’occasion de pousser ses pions au Nord; tout en dynamitant l’échéancier de la présidentielle, dont le premier tour était programmé le 29 avril.

A se demander s’ils ont conquis les armes à la main un pouvoir ou une impuissance.

Vincent Hugeux, L’Express.fr

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