© Reuters

Malgré la crise, Angela Merkel est toujours debout

Le Vif

La chancelière a sans doute gagné un sursis. Mais elle affronte le plus grand défi de sa longue carrière.

Invitée sur la chaîne publique ARD, Angela Merkel est allée droit à l’essentiel :  » Je ne m’en vais pas… Je suis prête à gouverner… Nos institutions sont stables « , explique en substance, le 20 novembre dernier, la chancelière, imperturbable dans sa veste rouge. Quelques heures plus tôt, l’échec des négociations l’a empêchée de former un gouvernement de coalition avec les libéraux du FDP (Parti libéral-démocrate) et les écologiques de Die Grünen (Les Verts). Le pays a plongé dans une crise politique et existentielle inédite : et si l’Allemagne, faute de parti majoritaire et d’alliance politique viable, n’était soudain plus capable de former un gouvernement ? D’un coup, le spectre de la république de Weimar (1919 – 1933), dont l’instabilité a favorisé la montée du nazisme, est venu hanter l’imaginaire allemand.

En douze minutes d’interview en direct, avec son message concis et bien calibré, la chancelière reprend la main face à tous ceux qui prédisent sa chute imminente.  » Habile, elle a reconnu que la situation était compliquée, commente Hans Stark, spécialiste de l’Allemagne à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Mais, à aucun moment, elle n’a donné l’impression que les choses lui échappaient ni qu’elle les prenait à la légère ; elle a projeté une image de solidité.  » Comme un matou, Angela Merkel retombe sur ses pattes. Sans états d’âme, l’idée d’une coalition de gouvernement  » jamaïcaine  » – ainsi nommée en référence aux couleurs des trois partis, semblables à celles du drapeau de l’île antillaise : noir (chrétiens-démocrates), jaune (libéraux) et vert (écologistes) – est abandonnée. La raison : les positions des trois partenaires potentiels sont diamétralement opposées sur le climat, la fiscalité ou l’immigration. Reste une solution : reconduire une Grosse Koalition ( » grande coalition « ) réunissant les chrétiens- démocrates de la CDU-CSU et les sociaux-démocrates du SPD. Seul problème, et de taille : le leader du SPD, Martin Schulz, y est catégoriquement opposé. Au-delà de sa vexante défaite électorale du 24 septembre dernier, le chef du parti possède de bonnes raisons de se méfier d’une troisième cohabitation : par deux fois, en 2005 – 2009 et en 2013 – 2017, la participation du SPD à des gouvernements Merkel s’est soldée par des reculs électoraux. Le 24 septembre, le SPD a enregistré l’un de ses pires scores depuis sa création, voilà cent cinquante ans : 20,5 % des suffrages et 153 élus, contre 33 % et 246 sièges pour la CDU-CSU.

Quoi qu’il en soit, la chancelière reçoit soudain le soutien d’un allié providentiel : Frank-Walter Steinmeier. Président de la République depuis mars 2017, ce dernier possède la particularité d’être issu du SPD et d’avoir été à deux reprises le ministre des Affaires étrangères  » de cohabitation  » dans des gouvernements Merkel. Au nom de l’intérêt supérieur de la nation allemande, le chef de l’Etat met tout son poids moral dans la balance afin de convaincre ses  » camarades  » sociaux-démocrates de reprendre des discussions avec la chancelière en vue de participer pour la troisième fois à un gouvernement de cohabitation. C’est la seule solution pour éviter un blocage politique qui entraînerait de nouvelles élections, lesquelles offriraient un nouveau tremplin à l’extrême droite. Arrivé en troisième position le 24 septembre avec 12,6 % des suffrages, Alternative für Deutschland (AfD) occupe aujourd’hui 94 sièges de députés sur 709, devant les libéraux du FDP (11 %, 80 élus), l’extrême gauche (Die Linke, 9 %, 69 élus) et les Verts (9 %, 67 élus).

La crise actuelle a mis en lumière l’absence de successeur potentiel au sein de la CDU

 » Le démarrage des négociations en vue d’une cohabitation avec Mme Merkel doit encore obtenir le feu vert des délégués du SPD lors d’un congrès national du parti, courant décembre, reprend Hans Stark. Compte tenu de la trêve de Noël, qui est sacrée en Allemagne, les négociations officielles destinées à définir un contrat de gouvernement ne démarreront pas avant janvier.  » Tout l’enjeu, pour le SPD, consiste à faire grimper les enchères et à  » facturer  » au prix fort la participation à une GroKo ( » grande coalition « ), qui, de facto, revient à  » sauver  » Angela Merkel.

 » Arracher le poste de ministre des Finances, laissé vacant par Wolfgang Schäuble (devenu président du Bundestag), est primordial pour le SPD « , poursuit Stark. En Allemagne, celui qui détient ce maroquin se trouve, en effet, en position de force, y compris pour peser sur les affaires européennes. De plus, l’une des priorités des sociaux- démocrates est de diminuer la pression fiscale sur les classes moyennes inférieures – segment de la population qui est tenté par le vote d’extrême droite.

Même dépossédée du portefeuille clé des finances, Angela Merkel aura sauvé l’essentiel : son poste. Une fois signé par les SPD et la CDU-CSU, le contrat de gouvernement est en effet valable quatre ans… au cours desquels rien ni personne ne pourra renverser la chancelière.  » Pour elle, gouverner avec le seul SPD est plus confortable et rassurant que d’avoir deux partenaires, comme cela aurait été le cas avec les libéraux et les écologistes dans une coalition jamaïcaine « , reprend Stark.

Pour Angela Merkel, les principales difficultés risquent en fait d’advenir au sein de l’Union chrétienne-démocrate, son propre parti, où des divergences profondes sont apparues ces dernières années avec la crise des migrants.  » A force de se recentrer, les chrétiens-démocrates sont confrontés à un sérieux problème de positionnement idéologique, note le spécialiste de l’Allemagne contemporaine et professeur honoraire des universités (Paris III et Fribourg) Henri Ménudier. Sous Merkel, le parti a eu tendance à délaisser son aile droite, ce qui a permis à l’AfD d’éclore et de croître.  » En Bavière, ce positionnement a coûté cher à la CSU, le  » parti frère  » de la CDU, autrefois hégémonique et aujourd’hui en net recul. Dans ce Land prospère, la guerre de succession fait rage afin de prendre la place du ministre-président, Horst Seehofer, avant l’élection régionale de décembre 2018.

Autre problème : l’usure du pouvoir. Le leadership d’Angela Merkel a connu quelques défaillances.  » Lorsque les circonstances étaient favorables et qu’il lui suffisait de se comporter en gestionnaire, les choses étaient simples, observe Barbara Kunz, chercheuse à l’Ifri. Aujourd’hui, c’est différent.  » Surtout, la crise politique actuelle a mis en lumière l’absence de successeur potentiel au sein de la CDU. Agé de 75 ans, le président du Bundestag, Wolfgang Schäuble, ne peut évidemment être considéré comme un dauphin possible dans quatre ans. Quant à Ursula von der Leyen, jadis regardée comme une figure d’avenir, elle a perdu l’essentiel de son capital de sympathie à la tête du ministère de la Défense – un poste politiquement éreintant en Allemagne.  » Derrière, il n’y a pas grand monde, poursuit Barbara Kunz. Au cours de sa carrière, Angela Merkel a investi pas mal d’énergie à se débarrasser de ses concurrents. Actuellement, il n’y a pas de vraie relève.  » Après douze ans d’exercice du pouvoir et une longue période de popularité, les subites fragilités de la  » maison Merkel  » représentent une hypothèque pour toute l’Allemagne.

Par Axel Gyldén.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire