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Libra: comment la cryptomonnaie de Facebook va renforcer son monopole

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Pour Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale de Belgique, le libra, renforcerait encore le pouvoir de Facebook. C’est surtout cet accroissement de monopole qui est inquiétant.

Le libra, encore une attaque contre la souveraineté des Etats ?

A priori, non. Il demeure de très nombreuses incertitudes sur le business model du libra. Ce que promet Facebook est un moyen de paiement rapide, efficace et bon marché. J’y vois là un aspect positif, dans la mesure où le libra possède le potentiel de réveiller les banques à l’échelle internationale. Les paiements internationaux demeurent en effet très chers et, si Facebook peut pousser les autres acteurs à baisser leurs prix et à injecter de la concurrence, c’est une réelle opportunité.

Quel est l’intérêt pour Facebook de lancer sa cryptomonnaie ?

Le business model de Facebook était vieillissant car basé sur la simple collecte et revente de données personnelles d’un réseau social généraliste et sur la vente, aux annonceurs, d’espaces publicitaires ciblés. Facebook se devait de réagir. Avec le libra, en réalité, il ne fait que prolonger son modèle actuel, en augmentant la possibilité de collecter et de revendre des données supplémentaires liées à votre portefeuille. Reste que cela me semble plutôt fragile comme modèle. Et, contrairement à ce que l’on entend partout, le libra n’est pas une nouvelle monnaie, puisque derrière le libra, il y a un panier de devises (euro, dollars…), mais un moyen de paiement à l’instar de PayPal. Ça n’est pas franchement révolutionnaire.

Actuellement, les banques sont soumises à un contrôle très sévère. Facebook sera-t-il soumis à un tel contrôle ? On ne peut pas autoriser n’importe qui à produire de la monnaie ?

Pour l’instant, le libra n’est ni une banque ni une institution de paiement. Mais il est hors de question de laisser des géants numériques développer des monnaies privées en dehors de toute réglementation. Pas plus que de permettre à Facebook d’ouvrir une porte pour contourner ce que l’on exige de la part des banques et des institutions de paiement, c’est-à-dire le respect en matière de protection des données des clients et de lutte contre le blanchiment. Car les vrais sujets que soulève le libra sont précisément la vie privée des gens et la lutte antiblanchiment. Dès le départ, Facebook sera soumis à une surveillance étroite sur ces questions.

Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale de Belgique :
Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale de Belgique : « Le libra n’est pas une nouvelle monnaie. »© THIERRY ROGE/belgaimage

Des commentateurs, comme l’économiste Bruno Colmant, estiment que la création du libra est la révolution monétaire de ce siècle : une monnaie universelle, privée et digitale. Qu’en pensez-vous ?

Personnellement, je ne partage pas cet avis. Le libra n’est pas une monnaie mais un moyen de paiement. Car, contrairement au bitcoin, le libra devrait être indexé à un panier de devises. Dès lors, je ne perçois pas le réel intérêt pour le client, puisque ce dernier s’expose à une volatilité, à un risque de change. En revanche, dans des pays où l’inflation est galopante, au Venezuela par exemple, le libra peut se révéler une valeur refuge, mais la majorité des habitants n’y auront pas accès.

Quels sont les risques ? Pointez-vous des dangers potentiels ?

Comme je l’ai dit, le libra s’avère proche du système PayPal. Au-delà de la mise en avant du caractère altruiste de l’initiative – soit des transactions internationales moins chères et l’accès bancaire pour tous -, le libra est privé, géré par des entreprises technologiques répondant à des intérêts privés et majoritairement américaines, rassemblées au sein de la Libra Association. Il ne s’agit donc pas d’une monnaie dont Facebook serait le propriétaire. Mais tout le monde ne peut pas y participer.

Facebook peut-il être considéré comme une puissance transnationale : une population nombreuse, un contact quotidien avec les gens, pas de territoire ?

Taxer Facebook de supra-Etat, cela marque les esprits mais cela ne me semble pas être un qualificatif pertinent. Par contre, il existe potentiellement un problème en matière de concurrence et de monopole dans ce secteur d’activités. Avec le déploiement du libra, le pouvoir de Facebook s’accroît. Ce qui va rendre la plateforme indispensable. C’est surtout cet accroissement de pouvoir de monopole qui m’inquiète. Un jour, on devra forcer un éclatement du secteur, comme on l’a fait par exemple dans le domaine énergétique.

N’est-ce pas le rêve libertaire : un accès bancaire à tous tout en surfant sur la défiance des gens à l’égard des banques et des institutions publiques ?

L’axe libertarien, je laisse ça à d’autres et je ne connais pas assez la biographie de Mark Zuckerberg pour savoir s’il adhère à cette pensée. Par contre, mettre en parallèle le bitcoin et le libra ne me paraît pas être la meilleure comparaison. Le bitcoin et autres cryptomonnaies se sont créés sur la volonté de s’ériger dans un environnement dissimulé, sur la base d’un système autorégulé, sans l’aide de l’Etat. Le bitcoin est subversif, voire spéculatif. Le libra n’est pas un rêve libertaire. Le libertaire veut la libre concurrence, Facebook fonctionne comme un monopole.

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