Artemisia, fameux restaurant végétarien de Buenos Aires © Reuters

Les végétariens seraient-ils en train de prendre le pouvoir?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Toujours plus nombreux, ils se recrutent aujourd’hui davantage dans les cercles de jeunes urbains, cultivés et conscients des enjeux politico-écologiques. Motivation première : le refus de la souffrance animale. Enquête sur une pratique éthique, alimentaire et écologique en plein boom. Et appelée à dominer ?

Les végétariens sont encore en minorité en Belgique (environ 5 % de la population) mais leur mouvement prend de l’ampleur. Les « no meat » (« sans viande ») forment une chapelle, divisée en groupes, et les pratiques varient d’un militant à l’autre. Les végétariens excluent de leur alimentation toute chair animale. Les végétaliens rejettent non seulement la chair des animaux mais aussi tout aliment issu du monde animal. Plus stricts, les végans, qui gagnent en popularité ces derniers temps : ce sont des végétaliens qui, en plus, suppriment de leur quotidien tout produit et tout loisir reposant sur l’exploitation de l’animal. Pas question donc de porter de la fourrure ou du cuir, ni de se réchauffer d’une petite laine.

« Quelque chose a changé. Aujourd’hui, on ne nous demande plus pourquoi cesser de manger des animaux, mais comment faire », souligne Fabrice Dezrelle, président de l’association Végétik, créée en 2013, comptant 400 membres et 45 000 fans sur Facebook (la troisième dans le monde francophone en nombre de followers), dont les trois quarts sont des femmes, près de la moitié, des 20-35 ans. Végétariens, végétaliens et végans témoignent d’un même itinéraire : tous vivent avec en mémoire des séquences Internet terrifiantes d’abattages dans des conditions atroces, de poulets rachitiques dans des cages lilliputiennes, de cochons piétinant leurs fientes, de vaches laitières usées à qui on enlève leur veau à peine né, de petits poussins mâles broyés vivants… Après ça, disent-ils, impossible d’oublier. Par le pouvoir et la force d’images choquantes (très souvent dérobées en caméra cachée) et publiées sur le Web, les militants de la cause animale sont ainsi parvenus à toucher un large public.

La mobilisation s’organise, portée aussi par des figures charismatiques : Madonna, Paul McCartney, le chanteur Moby, l’homme d’affaires Richard Branson, l’acteur Joaquin Phoenix, l’actrice Pamela Anderson… « Ce qui caractérise les comportements alimentaires aujourd’hui, écrit Claude Fischler, sociologue et coordinateur d’un ouvrage publié chez Odile Jacob sur les alimentations particulières, c’est d’abord le fait qu’ils soient perçus comme relevant de la responsabilité individuelle. Chacun construit, via son assiette, son propre système de valeurs. » Voilà ce qui permettrait de comprendre cet essor « veggie » : choisir en conscience ce que l’on ingurgite est devenu un acte politique, une manière concrète de faire coïncider ses actes et ses idées.

L’accélération de la tendance

Bien des indices prouvent le boom de ces pratiques. Les livres de cuisines végétarienne et végétalienne, qui font le bonheur des éditeurs ; des blogueuses en vogue (comme Marie Laforêt), qui concoctent des plats végans pour près de 20 000 fans… A Bruxelles, deux boutiques 100 % véganes, VegAnne’s Shop et Végasme, proposent une alimentation végétalienne et bio, comme des fromages végétaux sans lait ou de la mayonnaise sans oeufs. A Liège aussi, où Goveg Vegan Shop vend des pâtées végétariennes, à base de céréales, pour chien. Créée en 2010, la marque Lamazuna décline des produits 100 % naturels (shampooings, dentifrices ou déodorants), fabriqués en France et distribués en Belgique dans les boutiques Di, dont aucun n’est testé sur les animaux. Les dentifrices n’utilisent pas de graisse de baleine. Cet hiver, les Bruxellois découvriront un tea-room végan qui servira des gâteaux sans lait ni oeufs. Même les boucheries s’y mettent. A Knokke, par exemple, la boucherie Gaspard dispose d’une aile végétarienne, où l’on vend des plats végétariens fait maison.

Plusieurs associations, EasyVeggie ou Les oiseaux s’entêtent, organisent des ateliers d’initiation à la cuisine végétarienne, qui connaissent leur petit succès. Le renouveau de la cuisine végétarienne ne vient pas que des végétariens eux-mêmes, mais aussi des chefs cuisiniers. On ne compte plus les restaurants qui mettent en avant les légumes. Les supermarchés passent au végan. Dans les rayons : des produits de substitution à partir de céréales, conditionnés sous forme de steaks ou de nuggets, et évidemment des galettes. « Ce sont les flexitariens, la végétariens intermittents, qui tirent le marché », confirme Fabrice Derzelle.

Tous, végétariens endurcis ou convertis de fraîche date, en sont convaincus : le végétarisme finira par triompher. De fait, après une progression continue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la consommation de viande a atteint un pic à 99 kilogrammes (en équivalent carcasse) par an et par habitant en 2005. Depuis, elle n’a cessé de diminuer, selon le service de la statistique du ministère de l’Economie. La courbe va-t-elle continuer à baisser ? L’homme est-il destiné à devenir végétarien, ou tout au moins « flexitarien » ? ?

Le dossier, dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec notamment : « Leurs trois grands arguments, décryptage »

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