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Les principaux obstacles à la réunification des deux Corées

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La Corée du Nord et la Corée du Sud tiendront vendredi leur premier sommet depuis plus de dix ans. Une rencontre entre les deux leaders propice à une éventuelle réunification. Cependant, de nombreux obstacles balisent encore le chemin d’une telle réconciliation. Le magazine Time en énumère les plus importants.

Pour de nombreux Sud-Coréens, l’hypothèse d’une réunification s’est éloignée, au point de devenir irréaliste, depuis la fin de la guerre de Corée il y a 65 ans. Plusieurs décennies de provocations et de menaces militaires, ainsi que les programmes balistique et nucléaire menés par le Nord, ont fini de creuser de profondes divisions.

Cependant, la rencontre entre le président sud-coréen Moon Jae-in et le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un vendredi lors du sommet historique sur la Ligne de démarcation militaire qui divise la péninsule, est un événement qui promet d’être hautement symbolique. Il ouvre la voie à une possible réunification. La réunion doit être le précurseur d’un autre face-à-face historique très attendu, entre M. Kim et le président américain Donald Trump.

Depuis quelque temps, des efforts sont consentis des deux côtés de la frontière et les relations sont moins tendues. Kim Jong Un a annoncé avoir mis fin à ses tests nucléaires et a accepté de démanteler le site de tests atomiques de Punggye-ri (même si des sismologues chinois avancent qu’il pourrait être devenu inutilisable en raison d’un effondrement partiel de la montagne où il se trouve lors du dernier test en septembre). Tout accord de dénucléarisation ne serait pas lié au départ des troupes américaines de Corée du Sud a spécifié Kim Jong Un.

Autre évènement symbolique : les Jeux olympiques de PyeongChang pendant lesquels les athlètes de Corée du Nord et du Sud ont défilé ensemble à la cérémonie d’ouverture, favorisant l’apaisement et ouvrant la voie aux pourparlers de paix.

Le président Moon Jae-In de Corée du Sud et le leader nord-coréen Kim Jong Un.
Le président Moon Jae-In de Corée du Sud et le leader nord-coréen Kim Jong Un. © REUTERS

En réponse, Moon Jae-in a annoncé qu’il allait soumettre une déclaration de paix formelle avec la Corée du Nord. Une réunification en tant que telle risque toutefois de prendre du temps, voire de ne jamais aboutir. Le magazine Time dresse la liste des obstacles à une possible réconciliation entre les deux Corées.

Deux nations toujours en guerre

Techniquement, les deux nations sont toujours en guerre, seul un armistice a été signé le 27 juillet 1953 entre la Corée du Nord et la Chine d’une part, et l’Organisation des Nations unies d’autre part, dans le village de Panmunjeom situé du côté nord-coréen de la zone démilitarisée (DMZ). Celui-ci a mis fin officiellement à la guerre de Corée, bien que la Corée du Sud ne l’ait jamais signé et que les deux parties soient ainsi toujours techniquement en guerre, aucun traité de paix n’ayant été par ailleurs ratifié.

Politique

La priorité de Kim Jong Un est de préserver sa souveraineté et il est peu probable qu’il accepte qu’une réunification amenuise son pouvoir. De leur côté, les Sud-Coréens ne seront pas enclins à se soumettre à un tel despote. A moins de mettre de l’eau dans son vin, Kim Jong Un devra faire des concessions sur le plan politique et les Sud-Coréens, de leur côté, s’adapter à une nouvelle forme de gouvernance. Selon Reuters, les Sud-Coréens estiment qu’ils ont davantage à perdre qu’à gagner avec une réunification, le Sud étant devenu la quatrième plus grande économie d’Asie alors que le Nord est frappé par la pauvreté.

Une option pourrait être celle d' »une nation, deux systèmes », un arrangement similaire à celui de la Chine et de Hong Kong qui fonctionne sous deux systèmes politiques différents sous une même nation. Mais Kim Jong-un doit bien se douter que lâcher du lest dans la circulation libre des personnes, les informations et le capital diminuera son autorité. Les 25 millions de personnes sous sa coupe auront vite fait de se rebeller pour plus de parités économique et sociale face à leurs voisins (au nombre de 50 millions). On pourrait comparer cette situation à celle de la chute du Mur de Berlin qui a réuni deux peuples vivant dans des conditions très différentes.

Les Sud-Coréens, pour ou contre la réunification?

Selon un rapport annuel de l’université nationale de Séoul relayé par Reuters, le pourcentage de Sud-Coréens se prononçant en faveur de la réunification a baissé depuis 2007, année de publication du premier rapport et du dernier sommet intercoréen en date. L’année dernière, 53,8% des Sud-Coréens interrogés disaient considérer la réunification comme « nécessaire », contre plus de 63% en 2007. Parmi les Sud-Coréens les plus âgés, la préférence va plutôt à la réunification, certains ayant le souvenir de ce à quoi la Corée unifiée ressemblait.

Le siège de Samsung à Séoul, antre de la haute technologie en Corée du Sud.
Le siège de Samsung à Séoul, antre de la haute technologie en Corée du Sud. © reuters

Economique

Les différences économiques entre les deux Corées sont importantes. Il fut un temps où, au sortir de la Guerre de Corée (1950-1953) le Nord était plus riche que le Sud, bénéficiant à plein de la stratégie du colonisateur japonais de concentrer au nord le développement industriel de la péninsule. Mais cette situation s’est totalement inversée en raison du spectaculaire essor du Sud et de l’effondrement d’une économie étatique nord-coréenne plombée par des décennies de mauvaise gestion, puis par la chute de l’Union soviétique. Récemment, le leader nord-coréen a annoncé que la « nouvelle ligne stratégique » du Parti des travailleurs de Corée serait « la construction économique socialiste ». En 2016, l’économie nord-coréenne a connu sa plus forte expansion, selon la banque centrale sud-coréenne.

Le Nord est actuellement beaucoup plus pauvre que le sud, qui se positionne 11e dans le top des plus importantes économies mondiales. L’économie du pays est poussée vers le haut par le secteur de la haute technologie. En 2016, le salaire moyen était 20 fois supérieur au Sud, selon les statistiques sud-coréennes. Le Nord ne publie aucun chiffre de PIB. Mais tout n’est pas pour autant florissant en Corée du Sud, confrontée à un chômage record des jeunes et à une population vieillissante.

Mixer ces deux types d’économie complètement opposés aurait des conséquences catastrophiques, comme lorsque les deux Allemagnes se sont réunifiées en 1990. L’ex-Allemagne de l’Est est d’ailleurs encore de nos jours bien à la traîne au niveau économique par rapport à sa voisine. Accueillir des millions de Nord-Coréens sans éducation sera aussi un challenge et laissera la porte ouverte à de l’exploitation ouvrière.

C’est la raison pour laquelle une réunification de la péninsule ne pourra se faire qu’étape par étape sur plusieurs décennies, en élevant progressivement les standards économiques du Nord à ceux du Sud, jusqu’à une complète assimilation.

La zone démilitarisée (DMZ) entre les deux Corées.
La zone démilitarisée (DMZ) entre les deux Corées.© REUTERS

Social

La Corée du Sud est l’un des environnements les plus compétitifs du monde. Le pays est aussi précurseur de nombreuses tendances comme les « rage rooms » où les employés stressés peuvent décharger leurs nerfs à coup de battes de baseball. Les citoyens disposent aussi de parloirs pour jouer 24h/24 à des jeux vidéo, ou encore, de cafés remplis d’animaux exotiques.

Mais derrière les néons et les kitscheries de la K-pop, la population ne semble pas si épanouie. Les Sud-Coréens sont en effet les employés qui travaillent les plus longues journées de tous les pays développés. Même les jeunes étudient 16 heures par jour afin d’être acceptés dans le top 3 des universités du pays.

La nation a le taux le plus élevé au monde d’opérations de chirurgie esthétique et de suicides parmi les ados. Le contraste entre cette nation délurée et désabusée et le régime de Kim Jong Un ne pourrait être plus sombre.

Alors que tous les Sud-Coréens effectuent deux ans de service militaire, la norme en Corée du Nord est de 10 ans et l’éducation sous le régime se résume à de l’endoctrinement. Il n’est dès lors pas étonnant que les Nord-Coréens passés au Sud rencontrent de nombreuses difficultés d’adaptation, souffrent de dépression et n’arrivent pas à s’adapter au marché du travail, que certains décident même de revenir dans leur nation d’origine.

Un programme d’action solide devrait donc être mis en oeuvre pour combler ce fossé culturel entre les deux nations afin d’offrir aux Nord-Coréens les compétences et les opportunités nécessaires pour concurrencer ou du moins être au même niveau que leurs voisins du sud.

La zone démilitarisée en Corée du Nord.
La zone démilitarisée en Corée du Nord. © REUTERS

Géopolitique

Au niveau géopolitique, la situation est tout aussi délicate. La Corée du Sud a comme alliés les Etats-Unis et le Japon tandis que la Corée du Nord est soutenue par la Chine et la Russie, même s’il s’agit d’un allié versatile et sur le déclin.

La menace nord-coréenne est l’une des principales raisons pour laquelle les USA maintiennent 40,000 soldats au Japon et 28,500 en Corée du Sud. Les soutiens chinois à la Corée du Nord redoutent le rapprochement avec les USA et la mise en place de troupes américaines à leurs frontières.

La réunification – ou du moins, un traité de paix entre les deux nations – mettrait à mal la justification de Washington d’une présence militaire continue sur le sol coréen. Des voix s’élèveraient s’interrogeant sur la présence de troupes américaines alors qu’un régime de paix est instauré avec la Corée du Nord, soulève dans les colonnes du Time Christopher Green, un chercheur établi sur la péninsule pour l’International Crisis Group. « Ce serait certainement très déstabilisant au niveau politique pour la Corée du Sud. »

Sécurité

La Corée du Nord aurait une armée estimée à 1,1 million d’effectifs, et 7,7 millions de réserves, selon un rapport émis par le ministère de la défense nationale sud-coréen. Pyongyang possède plus de 1,300 avions, quelque 300 hélicoptères, 250 vaisseaux amphibiens, 430 vaisseaux combattants, 4,300 tanks, 2,500 véhicules armés, 70 sous-marins, ou encore, 5,500 lance-roquettes. Sans oublier la soixantaine de bombes nucléaires, les missiles variés et les autres armes nucléaires.

La priorité d’une Corée unifiée serait d’éviter que tout ce matériel militaire ne soit vendu et dispersé. Problème: l’endroit où cet arsenal militaire est stocké reste secret et peu d’informations filtrent sur les personnes qui en ont le contrôle. Le plus inquiétant est la possibilité que de nombreux scientifiques travaillant sur ces armes nucléaires se retrouvent sans travail et en profitent pour vendre leur savoir-faire à des groupes terroristes notamment.

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