Benoît XVI reçoit Moshe Katsav, en visite au Vatican le 17 novembre 2005. Le pape y a remis au président israélien une copie de Nostra Ætate. © REUTERS/Osservatore Romano

Les Pères de l’Eglise ont-ils nourri l’antisémitisme?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Cinquante ans après Nostra Ætate, déclaration de Vatican II qui réprouve l’antisémitisme, de nouvelles découvertes éclairent l’hostilité entre juifs et chrétiens aux premiers siècles.

Il y a cinquante ans, l’Eglise a officiellement tourné la page d’une longue tradition d’hostilité à l’égard de la religion juive. Promulguée le 28 octobre 1965 par le pape Paul VI, la déclaration Nostra Ætate (A notre époque) est le document le plus court et sans doute le plus révolutionnaire du concile Vatican II. Texte fondateur du dialogue interreligieux contemporain, il renouvelle les relations que les catholiques souhaitent établir avec les religions non chrétiennes et appelle à la compréhension mutuelle. L’Eglise reconnaît la sagesse des religions orientales, elle « regarde avec estime les musulmans », qui partagent avec les chrétiens la foi abrahamique, et elle réprouve les persécutions contre les juifs et toutes les manifestations d’antisémitisme. Si, lors de la Passion, « des autorités juives et leurs partisans ont poussé à la mort du Christ, cela ne peut être imputé aux juifs vivant alors, ni à ceux de notre temps. »

« La partie de la déclaration consacrée aux Juifs est celle qui a retenu l’attention, rappelle Didier Luciani, professeur d’Ancien Testament et de judaïsme à la faculté de théologie de l’UCL. Après des siècles de rapports conflictuels et l’électrochoc de la Shoah, elle constitue un changement de paradigme, même si les textes conciliaires peuvent mettre des décennies à porter leurs fruits. Non seulement le document invite à abandonner le poncif du peuple juif déicide, mais il soutient aussi que l’identité même de l’Eglise relève de sa relation avec le judaïsme. » Toutefois, à la différence des articles de Nostra Ætate consacrés aux autres religions, celui qui traite du judaïsme ne contient aucune référence à la tradition chrétienne. « Il y a rupture, en ce sens que l’Eglise exprime une position non fondée sur les textes de ses Pères », constate Luciani. Et pour cause: les Pères de l’Eglise ont véhiculé, au cours des premiers siècles de notre ère, des idées hostiles aux Juifs et aux pratiques

Dès que le christianisme s’institutionnaliste, il se présente comme le « Verus Israël », le véritable Israël, tandis que les apologistes chrétiens reprochent aux Juifs de ne pas avoir reconnu la Nouvelle Alliance. Se développe alors la théorie du « peuple déicide », fondement de l’antijudaïsme doctrinal, les Romains étant absous de l’exécution du Christ. Quand le christianisme devient religion officielle de l’empire romain, l’idée du « juif incroyant » s’impose. Au VIIe siècle, la mention latine Oremus et pro perfidis Judæs (Prions aussi pour les Juifs infidèles) est introduite dans la liturgie du Vendredi Saint. Traduite dans les langues communes, l’expression changera de sens: « perfidis » signifiera « perfides », « fourbes », « déloyaux ».

Pour Didier Luciani, membre de la Commission nationale des relations entre Chrétiens et Juifs – qui dépend de l’épiscopat belge -, l’antijudaïsme des Pères de l’Eglise peut être considéré comme le berceau des antisémitismes modernes: « On ne peut exonérer la tradition chrétienne d’une responsabilité dans la naissance de telles idéologies. Les Pères de l’Eglise n’étaient pas d’odieux antisémites, mais l’utilisation de leurs propos anti-judaïques a conduit à l’antisémitisme. »

Des spécialistes européens feront le point sur ces recherches lors d’un colloque destiné au grand public, qui se tient du 20 au 22 mai à l’UCL, à Louvain-la-Neuve (L’antijudaïsme des Pères: mythe et/ou réalité?). Infos et inscriptions: http://www.uclouvain.be/478952.html.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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