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Les derniers mystères des Templiers

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

18 mars 1314 : Jacques de Molay, dernier grand maître, meurt sur le bûcher. L’ordre du Temple, fondé vers 1119, disparaît et entre dans la légende. Aujourd’hui, le sujet fascine encore chercheurs et historiens. Sur le trésor, l’organisation ou la disparition des Templiers. Arnaud de la Croix tente d’éclaircir ses derniers mystères.

Si les Templiers n’avaient pas été les moines soldats que l’on a souvent décrits ? Si l’ordre n’avait été qu’un « surgeon », un épiphénomène, né et mort avec les croisades ? Si le reniement du Christ, auquel étaient contraints les Templiers lorsqu’ils étaient reçus dans l’ordre, n’était qu’une forme moderne de bizutage ? Dans son livre, Arnaud de la Croix – dont les essais sur la civilisation médiévale font référence -, s’attaque à l’un des plus puissants mythes. Avec Les Templiers, chevaliers du Christ ou hérétiques ? La clef de l’énigme (Tallandier), il effectue un retour aux sources, citant abondamment les textes tant chrétiens que musulmans. De ce périple au coeur des documents d’époque, il sort un éclairage neuf.

Le coup de génie d’Urbain II

Son ouvrage commence vingt ans avant la naissance de l’ordre. Nous sommes en 1095, à Clermont-Ferrand, en Auvergne. Après neuf jours de concile, qui porte sur la réforme lancée depuis quelques décennies par la papauté (les historiens l’appellent la réforme grégorienne), le pape Urbain II a gardé le secret sur l’appel qu’il s’apprête à lancer. Il va s’adresser aux « puissants », détenteurs du pouvoir et des richesses, et à ceux qui les servent en armes, les chevaliers : il leur demande de secourir l’Empire byzantin, assiégé par les Turcs. Mais ce pape-là va plus loin : il les exhorte à secourir les chrétiens orientaux et – objectif plus valorisant – à libérer Jérusalem, la ville sainte aux mains des musulmans depuis 638. En s’engageant dans ce pèlerinage guerrier, promet-il, les chevaliers, mettant leurs armes au service d’une « cause juste », gagneront leur salut « à l’heure même », c’est-à-dire le statut de martyrs. « Cette conception neuve de la chevalerie va jouer un rôle capital dans la formation et le développement de l’ordre du Temple », insiste Arnaud de la Croix.

La première croisade est couronnée de succès : le 15 juillet 1099, les croisés s’emparent de Jérusalem. Les territoires conquis deviennent les Etats latins d’Orient : comté d’Edesse et principauté d’Antioche en Syrie du nord, royaume de Jérusalem en Syrie et Palestine et, entre les deux et un peu plus tard, le comté de Tripoli. Il faut défendre ces Etats contre le retour offensif des musulmans. Or, beaucoup de croisés, sans doute déçus parce que le Christ ne leur est pas apparu, repartent pour l’Occident. Ceux qui restent remplissent leurs obligations féodales : servir en armes leur seigneur. Tandis que d’autres se mettent au service des Eglises de Terre sainte. Hugues de Payns est de ceux-là. Avec quelques autres chevaliers, il aspire à un mode de vie monastique, tout en servant militairement la terre du Christ. Son but initial se résume alors en la protection physique des pèlerins, pris sans cesse dans des embuscades. L’ordre des Templiers est né.

Trois cents ans plus tard, au XIVe siècle, pour le roi Philippe le Bel, une institution indépendante et internationale de 15 000 hommes échappant à sa tutelle est une menace. A un second niveau, l’affaire du Temple est un bras de fer entre lui et Boniface VIII : ce pape, agressé dans son palais d’Agnani par les troupes françaises, avait excommunié Philippe le Bel. Ce dernier va alors se servir du Temple pour obtenir de Clément V, successeur de Boniface VIII, un règlement à son avantage : un procès en hérésie intenté à la mémoire de Boniface VIII, sans quoi il menace de quitter l’Eglise de Rome. En d’autres termes, le deal est : soit sauver l’unité de l’Eglise, soit sacrifier le Temple. Clément V se résout à sacrifier le Temple – on apprendra qu’il le condamne mais sans statuer sur sa culpabilité d’hérésie.

A l’aube du 13 octobre 1307, le roi fait arrêter tous les Templiers du royaume, et saisit leurs biens. Il les accuse d’hérésie : lors de leur cérémonie d’admission, les Templiers renieraient le Christ, cracheraient sur la croix et adoreraient une idole. Sous la torture, systématiquement appliquée, on obtient d’eux les aveux recherchés.

Au terme d’un procès politique truqué de sept ans, les Templiers sont condamnés. Nombre d’entre eux meurent en prison, de vieillesse ou de mauvais traitements. Une centaine périssent sur le bûcher. Jacques de Molay, grand maître de l’ordre du Temple, est brûlé à Paris. C’était le 18 mars 1314. Ce que l’historien Julien Théry décrit comme « la première magouille d’Etat » vient de s’achever. Et un mythe vient de naître.

Les Templiers, chevaliers du Christ ou hérétiques ? La clef de l’énigme, par Arnaud de la Croix, Tallandier, 335 p.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, l’intégralité de l’article et les extraits exclusifs du livre

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