Jonathan Piron

Le PTB, la politique étrangère et les doubles standards

Jonathan Piron ETOPIA - Conseiller à la prospective

La publication le 20 janvier, dans le Vif, par Peter Mertens, président du PTB, d’une carte blanche intitulée : « La double morale : notre armée est à Bruxelles et Anvers, nos armes en Arabie saoudite » suscite à la fois gêne et interrogation. Gêne, car elle témoigne d’une vision biaisée de l’histoire et de la géopolitique du Moyen-Orient. Interrogation, car elle pose question sur les objectifs poursuivis par l’auteur.

Insistant à raison sur le soutien que la Belgique accorde à l’Arabie Saoudite, « financier du djihadisme salafiste d’extrême droite », notamment via les ventes d’armes, cette carte blanche dénonce, pêle-mêle, l’aide apportée aux régimes et aux mouvements fondamentalistes, l’alignement de l’Europe sur la politique étrangère des États-Unis et l’effondrement du Moyen-Orient qui en aurait résulté. Le tout en insistant, avec une pointe de romantisme nostalgique, sur le nationalisme panarabe progressiste qui y aurait existé entre 1950 et 1980.

La conclusion qui en ressort est claire : la politique étrangère menée par la Belgique, et par l’Europe, doit changer du tout au tout pour enfin mettre un terme aux soutiens divers qui ont permis aux dictatures du Moyen-Orient de mettre la région, et la nôtre de manière sous-entendue, à feu et à sang.

Oui, la Belgique et l’Europe doivent changer fondamentalement leur vision et leur politique. Mais Peter Mertens se trompe à la fois sur l’analyse de la situation et sur les solutions préconisées. Ce sont précisément elles qui amèneront in fine à un véritable double standard. Car la vision défendue par Peter Mertens contribue à renforcer le régime de Bachar el-Assad, et indirectement Daesh. L’auteur y use également des mêmes jugements et engagements impérialistes qu’il dénonce. L’image donnée du Moyen-Orient, de son histoire et de son présent, est ainsi radicalement engagée dans le soutien aux ennemis des ennemis du PTB. Elle pourrait prêter à simple débat dans le cadre d’une réflexion géopolitique. Elle prête cependant à réaction, à partir du moment où ses effets peuvent avoir des conséquences chez nous.

Revenons sur le texte. L’analyse historique, tout d’abord, est profondément empreinte de raccourcis. En écrivant qu’entre 1950 et 1980, « malgré tous les problèmes et défauts se développait lentement un courant progressiste qui se libérait de l’héritage colonial, qui faisait reculer les courants réactionnaires et dans lequel les femmes pouvaient s’émanciper », Peter Mertens réécrit l’histoire à son avantage. Loin d’être idyllique, cette période fut précisément celle des coups d’État et de l’avènement des dictatures, depuis le putsch d’al-Zaïm, en Syrie, en 1949 jusqu’à celui de Kadhafi, en Libye, en 1969. Marquée par toute une série de violences, de brutalités et d’exactions, cette période vit, au contraire, émerger les logiques des régimes en Syrie, au Yémen, en Égypte, en Libye, etc., soutenus par la peur et par l’élimination radicale de tout opposant. Or, c’est précisément cette absence d’opposition, aussi bien politique que dans la société civile qui explique, en partie, la dislocation actuelle des États touchés par les révoltes arabes. Certes, les États-Unis y trouvèrent de nombreux arrangements, soutenant tantôt l’un tantôt l’autre au gré des circonstances. Mais ils furent loin d’être les seuls. C’est de cette époque que date, notamment, le soutien de la Russie à la Syrie, soutien qui perdure encore à l’heure actuelle. L’impérialisme dénoncé donc par Peter Mertens est loin d’avoir été d’un seul côté.

C’est grâce au jeu des alliances au gré des intérêts et des instrumentalisations, notamment religieuses, que ces régimes parviennent, aujourd’hui, à rester en place, tout en massacrant leurs populations

Ensuite, son explication de la situation géopolitique actuelle au Moyen-Orient témoigne d’un européocentrisme finalement peu au fait des réalités de terrain. Obnubilé par la lutte contre l’impérialisme américain, Peter Mertens refuse de voir les autres impérialismes et opportunismes destructeurs. Pour le PTB, ainsi, l’impérialisme ne peut être qu’américain. L’impérialisme russe, chinois ou iranien n’en sont plus un et deviennent plutôt, par magie, de la « résistance à l’impérialisme ». Cette prestidigitation nie les jeux pourris menés par les États parrains que sont certes les États-Unis, mais aussi la Russie, l’Iran et la Turquie. Cette vision refuse également de prendre en considération que les régimes opportunistes comme celui des Assad, Khadafi, Saleh et autres militaires au pouvoir, sont les principales causes des déstabilisations en cours. La région en est arrivée à ce degré de régression du fait de l’incapacité des régimes à se réformer, mais aussi à accepter l’idée même de réforme et d’ouverture politique, que ce soit respect des droits de l’Homme ou des droits démocratiques les plus élémentaires. Et c’est grâce au jeu des alliances au gré des intérêts et des instrumentalisations, notamment religieuses, que ces régimes parviennent, aujourd’hui, à rester en place, tout en massacrant leurs populations.

Enfin, les propositions d’action proposées par Peter Mertens amènent, in fine, à soutenir le régime de Bachar el-Assad. Car ce qui sous-tend son propos est bien l’idée que le régime syrien est agressé par des forces extérieures, cherchant à renverser le pouvoir et imposer leur propre agenda. C’est précisément ce discours que reprend, aujourd’hui, le dictateur de Damas. Cette prise de position n’est, toutefois, guère étonnante de la part du PTB qui, encore en juin 2013, soutenait publiquement le régime syrien (dans un communiqué publié sur un site toutefois disparu depuis un an). Cette position pose question dans le délicat débat qui nous amène, aujourd’hui, à envisager la manière dont nous devons répondre aux menaces terroristes, à leurs causes et à leurs filières. Car considérer l’ensemble des révolutionnaires comme un seul tout, à savoir fondamentaliste et terroriste, revient à faire peu de cas des causes réelles de ce qui était tout d’abord une révolution avant de devenir une guerre civile. C’est également avoir peu de considération pour la politique d’épouvante appliquée aujourd’hui par ce régime dictatorial syrien, dont le seul but est de terroriser suffisamment fort la population afin de lui enlever toute idée de révolte future.

Ce que nous devons voir aujourd’hui, c’est ce que Peter Mertens ne voit pas, ou ne veut pas voir. C’est déjà la transition démographique en cours au Moyen-Orient, très rapide, et qui, en moins de 40 ans, a totalement bouleversé les repères et hiérarchies traditionnels. C’est également une recomposition de la société civile par le bas, critique d’abord, contestataire, voire révolutionnaire, ensuite à l’égard des pouvoirs en place, et qui ne se reconnaît pas dans une récupération pro-quatarie ou pro-saoudienne comme encore aujourd’hui de trop nombreux experts occidentaux l’affirment. C’est, enfin, une politique du pire poursuivie par des régimes en place, n’ayant d’autre considération que la survie de leur système mafieux, et non la survie de l’État.

Alors que faire face à cette situation particulièrement complexe, voire inextricable ? Il est, tout d’abord, évident que la situation en cours en Syrie et en Irak ne peut s’améliorer avec une intervention militaire occidentale, intervention que souhaitent précisément les tenants de Daesh. Cependant, il existe d’autres moyens auxquels l’Europe peut recourir, en vue de refonder sa politique étrangère et éviter les doubles standards. La lutte contre l’impunité tout d’abord. Cette lutte contre l’impunité doit s’appliquer fermement contre ceux qui bafouent les droits humains et internationaux les plus élémentaires, et ce de l’Égypte à la Syrie en passant par la Russie et ses actes en Ukraine. Par une nouvelle prise en considération des révolutionnaires syriens ensuite. Toujours présents, ceux-ci constituent à la fois la première et dernière force s’opposant aussi bien à Bachar el-Assad qu’à Daesh et aux autres factions djihadistes et salafistes. Cette étape reste néanmoins la plus difficile, obligeant à soutenir des forces éparpillées et à la représentativité contestée. Mais cette démarche amènera une profonde prise de responsabilité de la part de l’Europe : elle marquera la prise de conscience du caractère complexe de la situation. Elle témoignera, en même temps, de la sortie d’une vision européocentriste visant à imposer, en Syrie, ce que nous considérons comme étant au mieux de nos intérêts.

La compréhension des enjeux en cours, au Moyen-Orient, ne peut plus se baser sur des grilles de lectures européennes, qui plus est idéologiquement teintées ou datant de la Guerre Froide, comme celle qu’utilise Peter Mertens

Se souvenant de son départ pour le Levant, en 1929, Charles de Gaulle écrivit, dans ses Mémoires, que « vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». Ce sont de ces simplismes dont il faut aujourd’hui sortir. La compréhension des enjeux en cours, au Moyen-Orient, ne peut plus se baser sur des grilles de lectures européennes, qui plus est idéologiquement teintées ou datant de la Guerre Froide, comme celle qu’utilise Peter Mertens. Elle doit prendre en considération les mutations sociales, culturelles, économiques et politiques en cours qui traversent les populations de la région. Le monde change, tout comme ses repères. Il est dès lors de notre responsabilité de laisser tomber nos oeillères dépassées du XXe siècle, pour enfin répondre correctement aux défis internationaux de ce XXIe siècle en crise.

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