Hermilda de Escobar, la mère de Pablo Escobar, se rendant sur la tombe de son fils, un an après sa mort. © BelgaImage

Le pesant héritage de Pablo Escobar, 25 ans après sa mort

Le Vif

Tandis que les habitants du quartier Pablo Escobar honorent la mémoire de leur bienfaiteur, la mairie de Medellin en Colombie s’apprête à détruire l’immeuble de luxe aujourd’hui décrépit où vivait le narco-trafiquant le plus redouté du monde.

Vingt-cinq ans après la mort du baron de la cocaïne, la résidence Monaco – qui avait résisté en 1988 à un attentat à la voiture piégée du cartel de Cali, ennemi du gang d’Escobar – est vouée à disparaître.

Icône de l’opulence et du pouvoir de la mafia colombienne, ce bunker abandonné de huit étages, demeure de la famille du « capo », ne sera plus que ruines en février. Le spectacle de sa destruction sera public.

« Le Monaco est devenu un lieu d’apologie de la criminalité, du terrorisme (…) Plus que démolir un édifice, il s’agit de détruire une structure mentale », a déclaré à l’AFP Manuel Villa, secrétaire de la municipalité.

Pablo Escobar (ici, en 1977)
Pablo Escobar (ici, en 1977) © DR

Chaque jour, des groupes visitent ce fortin blanc construit par le chef du cartel de Medellin dans le quartier chic d’El Poblado. Lors de ces « narco-tours », touristes étrangers et colombiens découvrent un lieu extravagant, qui va laisser la place à un parc, dédié aux milliers de victimes du narco-terrorisme des années 1980 et 90.

Le 2 décembre 1993, les médias dévoilaient Escobar, qui avait eu 44 ans la veille, gisant en sang sur un toit, des policiers exhibant son cadavre comme un trophée. Il sera enterré le lendemain. Depuis, cet anniversaire montre une société partagée entre répulsion et admiration, douleur et gratitude.

– Les survivants –

Angela Zuluaga n’a pas connu son père. Elle était encore dans le ventre de sa mère lorsque, en octobre 1986, des sicaires ont attaqué la voiture de la famille. Ils ont criblé de balles le juge Gustavo Zuluaga et blessé son épouse.

Le magistrat avait émis un mandat d’arrêt contre Escobar et son cousin Gustavo Gaviria. Résistant aux tentatives de corruption et aux menaces, il affirmait préférer « mourir que flancher ».

Pour les Zuluaga, abattre le Monaco c’est combattre « la culture narco » et rendre la parole à ceux que la fiction montée autour du capo a bâillonnés.

« Avoir un lieu de mémoire, c’est disposer d’un espace où tenter de dédommager symboliquement les victimes du fléau du narco-terrorisme », explique Angela Zuluaga.

Entre 1983 et 1994, la guerre des narcos a causé 46.612 morts violentes, selon la mairie de Medellin, deuxième ville de Colombie (nord-ouest).

Ceux qui sont favorables à la démolition du Monaco, dont des murs sont marqués d’impacts de balles, entendent mettre des noms sur ces chiffres.

« Nous ne voulons pas d’enfants rêvant d’être Pablo Escobar, en mince, quand ils seront grands », ajoute M. Villa, chef du projet de création du parc de 5.000 m2 qui remplacera l’immeuble.

– Les partisans –

Luz Maria Escobar change la plaque sur la tombe de son frère dans le cimetière Jardines Montesacro. Elle en a rédigé l’épitaphe à l’occasion de cet anniversaire.

Le pesant héritage de Pablo Escobar, 25 ans après sa mort
© BelgaImage

En larmes, elle la lit à haute voix: « Au-delà de la légende que tu symbolises aujourd’hui, peu connaissent la véritable essence de ta vie ». Une jeune touriste de Porto Rico, émue, demande à l’embrasser.

Pour Luz Maria, bien que son frère ait commis beaucoup d’erreurs, sa demeure doit rester. « L’histoire de Pablo ne s’écroulera pas en détruisant le Monaco », estime la plus jeune des Escobar Gaviria.

Mais la mairie souligne que sa réhabilitation coûterait 11 millions de dollars; sa destruction et l’aménagement du parc moins de 2,5 millions.

– Pablo, le héros –

Les habitants du quartier Pablo Escobar sont nostalgiques. Le « Robin des Bois colombien » les a sortis de la décharge d’ordures de Medellin où ils survivaient et leur a offert 443 maisons, sur une colline de la ville.

« Pour moi, il y a Dieu, puis lui. Je le vois comme un second Dieu », affirme Maria Eugenia Castaño, mère au foyer de 44 ans, en allumant une bougie sur le petit autel où, entre des images de l’enfant Jésus, trône un portrait du narco.

Yamile Zapata tient la boutique « El Patron », à la fois salon de beauté et magasin de souvenirs à la mémoire d’Escobar.

« Pablo est déroutant. Si on regarde ses bons côtés, il était très bon. Si on cherche les mauvais, il était très méchant », dit cette coiffeuse, amie de Juan Pablo Escobar, alias Sebastian Marroquin, le fils.

Le Monaco, ses salles de bain en marbre et sa chambre forte, témoignent de la volonté du capo de grimper dans l’échelle sociale. Il ne faudra que trois à quatre secondes pour le réduire en ruines.

« Ce sera douloureux (…) mais c’est la seule manière pour nous de commencer à guérir », estime M. Villa, qui dans quelques mois présidera au décompte de l’explosion.

Trois choses qui ont changé depuis Pablo Escobar

Sur un toit de Medellin s’effondrait en 1993 le corps obèse et ensanglanté du baron colombien de la cocaïne, trophée de la victoire du bien sur le mal. Mais Pablo Escobar a laissé ses marques, encore perceptibles 25 ans après.

Le pesant héritage de Pablo Escobar, 25 ans après sa mort
© AFP

Maudit, honteusement accepté, voire vénéré, mais jamais ignoré, le « capo », responsable de milliers de morts, s’est converti en un phénomène qui dépasse les frontières de la Colombie.

Il a laissé ses traces dans la vie quotidienne, mais aussi dans les arts et les loisirs. Et bien que le narco-trafic persiste après lui – la Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne, les Etats-Unis sont premier client – plusieurs choses ont changé pour toujours depuis Pablo Escobar.

– Le narco-genre –

Génie du mal, bandit populaire… les qualificatifs abondent pour décrire Escobar, mais aucun ne résume mieux son influence qu’un préfixe: narco.

Sont apparus les narco-séries, la narco-politique, la narco-musique et le style « sicaresque » (de sicaire et picaresque) d’histoires de tueurs à gage comme il en recrutait à Medellin, deuxième ville du pays.

Pour Omar Rincon, expert de l’université de Los Andes, « une vie comme la sienne est mieux que ce que le cinéma, la littérature et la télévision peuvent imaginer ».

Le peintre Fernando Botero l’a immortalisé sur la toile; le Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez dans « Journal d’un enlèvement » et la plate-forme Netflix avec sa série « Narcos ». Sa veuve, son fils, son frère et jusqu’à sa maitresse la plus célèbre ont écrit sur leur vie avec lui. De même des policiers qui l’ont combattu et son ancien bras-droit Popeye.

Tout Colombien a quelque chose à dire sur Escobar. « Il nous a donné une identité internationale », ajoute Omar Rincon.

Le « Da Vinci du crime », comme l’a surnommé l’ex-vice-président Francisco Santos, séquestré par le cartel de Medellin, a marqué l’imaginaire.

– Hyper-sécurité –

Contrôles à l’entrée des centres commerciaux, policiers armés comme des militaires, mesures de sécurité instaurées à l’époque perdurent. Entre septembre et décembre 1989, le cartel d’Escobar a fait exploser des centaines de voitures piégées.

Un avion, un hôtel, un journal, une rue… le capo en guerre contre l’Etat pouvait frapper n’importe où et a causé au moins 3.000 morts. La peur dominait le quotidien.

« Les entreprises de sécurité se sont dotées de chiens et d’engins électroniques pour détecter les explosifs dans les voitures », précise à l’AFP le colonel en retraite Carlos Alfonso Velasquez, qui a participé à la lutte contre les cartels.

Avant Escobar, 90.000 personnes travaillaient dans la sécurité privée; environ 250.000 aujourd’hui. Les gardes-du-corps font partie du paysage.

– L’extravagance –

Une avionnette surmontant le portail de son hacienda, où flânaient des girafes et des hippopotames, autos et armes customisées, fêtes insensées, mannequins refaites… Escobar incarnait un modèle de « revanche sociale pour les pauvres » auxquels il a donné « maisons, emplois, argent, bijoux », précise Omar Rincon.

Mais les goûts extravagants de celui qui, de petit voyou est devenu l’un des hommes les plus riches du monde, n’ont pas contaminé que la mafia.

Aujourd’hui, rouler en 4X4, chemise ouverte sur une chaine en or, au bras d’une fausse blonde aux formes modelées par un chirurgien, sont la marque de la réussite.

« Comme la Colombie a eu Garcia Marquez, elle a aussi eu Pablo Escobar et il faut accepter l’un comme l’autre », estime Fabian Sanabria, anthropologue de l’Université Nationale.

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