Juan Martin Guevara, le frère de l'Argentin Ernesto Che Guevara. © Belga

« Le parti communiste a sans doute trahi Che Guevara »

Le Vif

Cinquante ans après sa mort, l’Argentin Ernesto Che Guevara, compagnon de révolution de Fidel Castro à Cuba, reste une figure mythique et le sera toujours dans trois siècles, assure son frère Juan Martin Guevara.

Dans un entretien avec l’AFP, l’auteur du livre « Mon frère, le Che », âgé de 74 ans, confie sa douleur de ne pas avoir pu accompagner dans sa dernière mission le guérillero, tué par des militaires boliviens le 8 octobre 1967.

Question: Pourquoi le Che est-il mort en Bolivie?

« Les militaires boliviens disent qu’il est mort en combattant, mais ce n’est pas vrai. Il a été exécuté par l’armée bolivienne. Ils l’ont pris en photo comme si c’était un trophée. Le parti communiste l’a sans doute trahi. L’URSS a joué un rôle très important. Les deux services de renseignement les plus puissants à cette époque, le KGB et la CIA, étaient d’accord sur un point: le projet révolutionnaire latino-américain ne devait pas fonctionner. Valait-il la peine qu’il prenne la tête d’un petit groupe armé en Bolivie? Important comme il était? Moi, je suis assez d’accord avec Fidel Castro, ce n’est pas le politique qui doit être sur le front, le politique doit envoyer d’autres au front ».

Que serait-il devenu s’il n’était pas mort ainsi?

« S’il n’était pas mort en 1967 en Bolivie, l’Amérique latine serait aujourd’hui libre, souveraine, indépendante et socialiste. C’est ce qu’il voulait. Car s’il était resté en vie, il aurait triomphé. Lui, c’était tout ou rien. Pourquoi n’est-il pas resté ministre à Cuba? Ce n’était pas son objectif dans la vie, il n’était pas du genre à rester assis dans un bureau. Ce qu’il serait devenu, impossible de savoir. Il aurait toujours été du côté des peuples en lutte ».

Comment avez-vous appris sa mort?

« Je travaillais (à Buenos Aires, ndlr) dans une entreprise de produits laitiers, et à l’aube les journaux ont paru avec sa photo à la une. J’ai dû terminer ma journée de travail, c’était dur. Ils avaient annoncé plusieurs fois sa mort avant, mais cette fois, j’ai pensé que c’était vrai. La famille s’est réunie. Mon père et ma soeur pensaient que la photo pouvait être truquée. Mon frère Roberto est parti pour la Bolivie. Puis La Havane nous a confirmé que c’était Ernestito. Le ministre de l’Intérieur avait envoyé à Cuba les mains, coupées, pour la vérification des empreintes digitales ».

Comment expliquez-vous la célébrité mondiale du Che?

« Les mythes existent, car les sociétés les créent. Quel autre personnage mythique? Je dis que les deux images les plus connues dans le monde sont celles du Christ et du Che. Un ami m’a dit: +tu exagères, le Christ est bien plus connu+. Bien sûr, il est mort il y a 2.000 ans, le Che il y a 50 ans. Nous ne serons pas là pour le voir mais le Che, dans 300 ans, sera toujours le Che. Et j’espère qu’il y aura d’autres Che ».

Décrivez-nous son caractère.

« Il avait un grand sens de l’humour, c’est de famille. Quand il avait une idée en tête, il allait au bout. Il était visionnaire, d’une pensée profonde. L’héritage qu’il laisse à la jeunesse c’est sa pensée, son éthique, son action, ses couilles (son courage, ndlr). Il était resté profondément argentin, il aimait le mate (thé sud-américain, ndlr) et les grillades de viande ».

Etre le frère du Che, ça vous trace un destin, non?

« J’étais militant universitaire avant la révolution cubaine. Ernesto était mon frère de sang et mon compagnon d’idées. Il nous a appris à ne pas lire comme on lit la Bible. Il était anti-dogmatique, avec une liberté de penser. J’aurais aimé rester avec lui à Cuba, en 1959, mais mon père n’a pas voulu. A La Higuera (lieu de sa mort en Bolivie, ndlr), j’ai pensé +pourquoi je n’était pas à ses côtés+. Etre son frère, ce n’est pas un poids, mais un héritage. Cela n’a pas été toujours facile: on nous a mis des bombes, on a mitraillé la maison. Son action menaçait des intérêts très puissants ».

Le Che aimait-il les femmes?

R: « Il attirait les femmes. Il n’était pas très exigeant en terme de beauté féminine, il aimait les femmes normales. Hilda (sa première épouse, ndlr), c’était pas Brigitte Bardot. Grâce à Hilda il fait la connaissance de Fidel. La femme de sa vie? Qu’est-ce que j’en sais. Aleida March, c’est la femme la plus importante dans sa vie. Elle lui a donné quatre enfants. C’était un type normal, il ne courait pas les filles, s’il y avait une opportunité… Mais sa femme éternelle, c’est la révolution ».

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