Maria Ressa et Dimitri Muratov

Le Nobel de la paix à deux journalistes pour « leur combat courageux pour la liberté d’expression »

Le Vif

Le prix Nobel de la paix a été attribué vendredi à deux journalistes, la Philippine Maria Ressa et le Russe Dimitri Muratov, pour « leur combat courageux pour la liberté d’expression » dans leurs pays respectifs, a annoncé le comité Nobel norvégien.

Les deux lauréats « sont les représentants de tous les journalistes qui défendent cet idéal dans un monde où la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus défavorables », a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, à Oslo.

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Agée de 58 ans, Maria Ressa a cofondé la plateforme numérique de journalisme d’investigation Rappler en 2012, un média qui a braqué les projecteurs sur « la campagne antidrogue controversée et meurtrière du régime (du président philippin Rodrigo) Duterte« , a fait valoir le comité Nobel.

D’un an son aîné, Dmitri Mouratov a quant à lui été un des cofondateurs et un rédacteur en chef du journal Novaïa Gazeta, une des rares voix encore indépendantes en Russie où la dissidence se heurte à une féroce répression.

Le quotidien a notamment mis en lumière « la corruption, les violences policières, les arrestations illégales, la fraude électorale et les ‘fermes de trolls' » et l’a payé au prix fort, a souligné le comité: six de ses journalistes ont perdu la vie, dont Anna Politkovskaïa, tuée il y a 15 ans quasiment jour pour jour.

Dans un monde où, comme le veut l’adage, « la première victime de la guerre, c’est la vérité », il s’agit du premier prix Nobel de la paix, en 120 ans d’histoire, à récompenser la liberté d’information en tant que telle.

« Le comité Nobel norvégien est convaincu que la liberté d’expression et la liberté d’information aident à maintenir un public informé. Ces droits sont des préconditions essentielles pour la démocratie et pour se prémunir contre la guerre et les conflits », a expliqué Mme Reiss-Andersen.

« Le journalisme libre, indépendant et factuel sert à protéger contre les abus de pouvoir, les mensonges et la propagande de guerre », a-t-elle précisé.

Selon le dernier classement annuel de Reporters sans frontières (RSF) – donné par avance comme un des favoris pour le Nobel -, la situation de la liberté de la presse est problématique, difficile, voire très grave dans près de trois-quarts (73%) des 180 pays évalués par l’organisation, et bonne ou satisfaisante dans seulement 27%.

Un funeste compteur tenu par RSF sur son site montre que 24 journalistes professionnels ont été tués depuis le début de l’année et 350 autres restent emprisonnés à ce jour.

Du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018, au journal pro-démocratie Apple Daily, cible de critiques récurrentes de Pékin et contraint de fermer cette année à Hong Kong, les tentatives de musèlement foisonnent.

‘Infodémie’

Si l’information est systématiquement prise pour cible dans les régimes autoritaires et sur les champs de bataille, le débat public dans les pays en paix est aussi parasité par les « infox », dont les conséquences peuvent être dramatiques.

A l’occasion de la pandémie de Covid, l’Organisation mondiale de la santé s’est inquiétée dès le début 2020 de l' »infodémie », un « tsunami d’informations, certaines exactes, d’autres non » qui « peut affecter directement la santé des populations ».

Un virus qui peut prendre différentes formes et servir différentes finalités.

Avec ses armées de « trolls » hyper-actifs sur les réseaux sociaux, la Russie a régulièrement été pointée du doigt pour ses tentatives d’interférence dans les élections aux États-Unis et ailleurs, ce qu’elle dément.

Sous la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis ont eux-mêmes vécu au rythme des « fake news » fustigées mais aussi propagées par le milliardaire qui qualifiait les journalistes d' »ennemis du peuple » tout en étant accusée de prendre de multiples libertés avec la réalité.

« Sans liberté d’expression ni liberté de la presse », a conclu Mme Reiss-Andersen, « il sera difficile de réussir à promouvoir la fraternité entre les nations, le désarmement et un monde meilleur » comme le souhaitait Alfred Nobel (1863-1896), le fondateur du prix, dans son testament.

Le Nobel de la paix, qui consiste en un diplôme, une médaille d’or et un chèque de 10 millions de couronnes (près de 980.000 euros), est traditionnellement remis le 10 décembre dans la capitale norvégienne.

Une inconnue demeure toutefois: la situation sanitaire. L’Institut Nobel doit décider à la mi-octobre si la cérémonie, réduite l’an dernier essentiellement à un format numérique à cause du Covid, est maintenue dans sa forme habituelle avec la présence, physique, du lauréat.

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