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Le mystérieux incendie d’un sous-marin russe réveille les vieux démons de Poutine

Muriel Lefevre

L’incendie qui a coûté la vie à 14 sous-mariniers russes en mer de Barents, le lundi 1er juillet 2019, reste entouré de mystère. Le Kremlin ne souhaite pas révéler les détails de la catastrophe au nom du « secret d’Etat ». C’est aussi un coup dur pour Vladimir Poutine. Il perd quelques-uns de ses meilleurs experts pour conquérir le Pôle Nord et cela fait ressurgir un inquiétant fantôme du passé.

Lundi soir un incendie a eu lieu dans un sous-marin russe. 14 sous-mariniers seraient décédés après avoir inhalé des fumées toxiques avant que l’incendie soit finalement maîtrisé. Selon l’armée, l’accident a eu lieu dans les eaux territoriales russes. Les autorités ont décrit l’appareil comme un sous-marin de recherche, destiné à l’étude des environnements marins et du fond des océans. Vladimir Poutine lui-même a qualifié l’appareil d' »inhabituel ». Le porte-parole du Kremlin refuse cependant d’en révéler plus. « Les informations ne peuvent pas être rendues publiques. C’est complètement normal », a-t-il assuré mercredi, invoquant le « secret d’Etat ».

Un petit engin secret pour des opérations spéciales

Selon les médias russes, le submersible en question serait un petit sous-marin nucléaire, le AS-12 ou AS-31 selon les versions, ce qui correspond dans les deux cas au type surnommé « Locharik », un engin secret destiné à des opérations spéciales et pouvant plonger jusqu’à 6.000 mètres de profondeur. Le « Locharik », qui peut accueillir jusqu’à 25 marins à son bord, est conçu de façon à s’amarrer à un sous-marin plus imposant qui le transporte jusqu’à sa zone d’opération.

Ce type de sous-marins est rattaché à la Direction des plongées en eau profonde du ministère de la Défense, une division spéciale et « complètement autonome » de la Marine russe. « C’est une des branches les plus secrètes, les plus entourées de mystère de la marine russe », soutient Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe et spécialiste de la marine russe, selon qui « elle dispose de l’élite de la flotte sous-marine russe: les plongeurs les plus qualifiés, les hommes les plus expérimentés, les plus entraînés ». « Avec son bras articulé, il est capable d’interagir avec le fond de la mer (…). C’est aussi lui qui est chargé d’aller piéger des câbles sous-marins. Il peut poser des stations d’écoute sous l’eau, donc faire des missions très sensibles », précise encore Igor Delanoë.

Toujours selon lui, ce type de submersible a ainsi été utilisé en 2012 « pour réaliser des prélèvements du plateau continental dans le sous-sol de l’Arctique », pour que la Russie puisse plaider à l’ONU pour l’élargissement de ses frontières dans la région.

L’incendie a démarré dans le compartiment à batteries

L’incendie a démarré dans le compartiment à batteries, sans toucher son réacteur nucléaire, a annoncé jeudi le ministre de la Défense. « La cause principale a été établie. Il s’agit d’un incendie dans le compartiment à batteries, qui s’est ensuite étendu », a déclaré Sergueï Choïgou. « Le réacteur nucléaire de l’appareil est complètement isolé et compartimenté. L’équipage a mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger l’installation, qui est totalement opérationnelle », a poursuivi M. Choïgou.

Poutine et Choïgou
Poutine et Choïgou © getty

Il s’agit de la première fois depuis la tragédie que les autorités russes reconnaissent que le submersible, dont le type n’a pas été révélé, fonctionnait à l’énergie nucléaire. Selon une source militaire citée par le journal Kommersant jeudi, le feu a pu partir d’un court-circuit dans l’un des tableaux de bord, enflammant des câbles ou de l’huile, la ventilation entraînant ensuite la fumée à travers les compartiments du submersible. Au moment de l’incendie, les sous-mariniers se reposaient et n’ont pas eu le temps d’enfiler leur protection, selon la même source, qui ajoute que seuls cinq membres d’équipage ont survécu en maîtrisant le feu et en faisant remonter le sous-marin à la surface.

Le sous-marin est aujourd’hui revenu à son port d’attache, la ville fermée de Severomorsk, dans la région de Mourmansk, dans l’Arctique. Sur place mercredi, Segueï Choïgou, le ministre de la Défense, a ordonné la « réparation rapide de l’appareil et son retour en eaux profondes », selon les agences russes.

Le ministre a aussi confirmé qu’il y avait des survivants parmi l’équipage, notamment un civil « représentant de l’industrie ». Le ministère russe de la Défense a également publié dans la soirée les noms des 14 officiers décédés, soulignant qu’ils avaient sauvé « au prix de leur vie » les autres membres d’équipage et le « submersible d’immersion profonde » à bord duquel ils se trouvaient, sans autre précision.

En présentant ses condoléances aux proches des marins, Vladimir Poutine a indiqué que deux « Héros de la Russie » et sept capitaines de premier rang, le grade le plus élevé chez les officiers navigants de la marine russe, comptaient parmi les morts. Sur les réseaux sociaux, le gouverneur de Saint-Pétersbourg, Alexandre Beglov, a assuré que les sous-mariniers « étaient en poste sur une de nos bases ». Ils seront enterrés à Cronstadt, a assuré au quotidien RBK le représentant de la cathédrale de cette île sur le golfe de Finlande, qui compte une importante base navale. Selon le journal Kommersant, les sous-mariniers étaient en poste sur la base navale 45707 à Petergof, près de Saint-Pétersbourg: une base navale rattachée, selon le quotidien, à la Direction de la plongée profonde du ministère de la Défense.

Ce mystérieux désastre sous-marin dans l’Arctique est surtout un coup dur pour Vladimir Poutine. Car les personnes qui sont mortes dans ces sous-marins ne sont pas n’importe qui. Dans cette catastrophe il perd quelques-uns de ses meilleurs experts pour la bataille pour le Pôle Nord. Poutine n’a, depuis son entrée en fonction en tant que président de la Russie, jamais laissé planer aucun doute sur la revendication de l’Arctique. « C’est une extension naturelle de notre pays ».

Parmi eux il y a Denis Dolonsky. Le commandant de l’AS-12 était connu des Russes comme un chef d’armée respecté et de haut rang. Dolonsky fut décoré 2010 pour ses années « d’intenses et extrêmement précieuses recherches dans l’Arctique qui lui ont permis d’acquérir une expertise unique « . L’homme n’est pratiquement plus jamais rentré chez lui depuis 2003, car il était presque continuellement sous la glace de l’Arctique, où les ressources minérales inexploitées l’attendent. Le deuxième héros russe décédé lundi était un officier de marine qui, pendant ses études universitaires, s’était spécialisé dans le fonctionnement et l’amélioration de l’équipement de profondeur.

Selon le Standaard qui reprend le site d’information russe Gazeta.ru, les deux hommes auraient à ce point loyaux à leur mission et à leur patrie qu’ils auraient délibérément scellé le compartiment du sous-marin qui a pris feu lundi. Au sacrifice de leur propre vie, ils ont ainsi limité les dégâts sur le matériel et sauvé les autres marins.

Le fantôme du Koursk

Si Poutine perd quelques-uns de ses meilleurs hommes, le drame a aussi fait ressurgir des flots un vieux fantôme, celui du Koursk. Le Koursk est un sous-marin qui a coulé en août 2000 avec 118 hommes à bord alors qu’on le disait insubmersible. Il était la pièce maîtresse de la marine russe et l’accident avait profondément traumatisé le pays et jeté une ombre sur le premier mandat de Vladimir Poutine, élu quelques mois auparavant et dont la gestion de l’affaire avait été très critiquée. Non seulement le tout nouveau président avait été accusé de vouloir étouffer l’affaire, mais il aurait aussi pêché par fierté puisqu’il aurait refusé toute aide internationale. Cette rebuffade va coûter la vie aux dizaines de membres d’équipage qui avaient survécu au naufrage, mais ont attendu la mort aux fonds des flots.

Sous-marin russe
Sous-marin russe © getty

Faire une comparaison entre ce qui s’est passé cette semaine et le Koursk est donc une chose dont le Kremlin peut se passer comme d’une rage de dents, dit encore De Standaard. Pourtant, comme en 2000, les nouvelles sont brèves et floues. Et comme il y a 19 ans la rumeur selon laquelle l’incendie a été causé par des défauts techniques et que la marine est « usée » enfle sur les blogs russes. Comme en 2000, cet accident risque de mettre en avant le fait que la marine est le parent pauvre de l’armée russe et qu’elle a fortement souffert de la chute de l’Union soviétique. Cette catastrophe s’inscrit dans une série d’accidents militaires qui montrent que les forces armées russes ne se classent pas dans le top mondial et que, contrairement aux États-Unis elle est probablement incapable de mener une offensive à grande échelle sur différents fronts. L’appareil militaire russe n’est tout simplement pas assez moderne ou étendu pour cela.

Que faisait exactement ce sous-marin ?

Le flou que l’on veille à garder autour de l’évènement pourrait donner l’idée que la mission aurait pu être une action de sabotage de câbles Internet en mer, comme le rapporte plusieurs médias américains.

Le Pentagone avait déjà signalé qu’il craignait que les Russes n’utilisent ce navire pour saboter les câbles Internet au fond de l’océan. Le fait, qu’en 2014, les Russes songeaient déjà à remplacer leurs câbles par une variante super résistante, n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Beaucoup se demandent néanmoins pourquoi les Russes voudraient à ce point s’en prendre aux câbles américains.

Avec l’AFP

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