Luigi Di Maio, la nouvelle incarnation du M5S. © Tony Gentile/Reuters

Le Mouvement 5 étoiles, un succès conquis dans le désert de la gauche italienne

Le Vif

La formation de Beppe Grillo et Luigi Di Maio, qui s’apprête à gouverner avec la Ligue, a grandi en occupant un espace politique de gauche protestataire laissé vacant, analyse Jérémy Dousson, auteur de Un populisme à l’italienne ?

Le Mouvement 5 Etoiles est-il synonyme d’un approfondissement démocratique ou d’une régression civique ? D’un dépassement de la crise de l’Etat et des partis transalpins, que sa participation contre-nature au gouvernement justifierait, ou d’une accentuation de celle-ci, sur fond d’émiettement électoral ? Toutes ces questions – et d’autres – affleurent dans Un populisme à l’italienne ? (1) , la remarquable étude du politologue Jérémy Dousson. Sur un peu plus d’une décennie, il retrace l’irrésistible ascension du bateleur Beppe Grillo, ce clown recyclé en politique, et de ses clones. Avec une question, et même une hantise : que représente 5 Stelle, cet agrégat d’ambitions antipolitiques fédérées par une même adulation de l’histrion Grillo ? N’est-il pas, d’abord, le visage nouveau et inquiétant d’un illibéralisme qui fait tache d’huile à l’échelle du Vieux Continent ?

Expérimentation télévisuelle

Comme souvent, le bras d’honneur aux élites politiques a été expérimenté d’abord… dans l’arène télévisuelle. L’auteur remémore l’organisation d’un rituel cathartique, le  » Vaffanculo Day « , au cours duquel se manifesta le ras-le-bol de nombreux Italiens à l’égard de ce qu’ils commençaient à nommer  » la caste  » (la casta). De l’étude de la ligne idéologique de M5S se dégagent quelques traits invariants de sa stratégie. Le mouvement radicalise, dans la péninsule, le geste de défoulement inventé par Grillo, ce  » allez vous faire foutre !  » adressé aux élites. Un désaveu mâtiné de jactance, souligne l’auteur, qui est inhérent au mouvement :  » A l’image, en France, de l’UMP et du PS rebaptisés « UMPS » par le Front national, l’humoriste parle du PDL (Parti du peuple de la liberté) et du PD-moins-L (Parti démocrate). La critique fait mouche auprès d’une partie de l’électorat qui ne croit plus en l’alternance […].  » Dousson remémore d’ailleurs les circonstances de cette prise de position polémique envers le bipartisme. En 2009, rappelle-t-il, tout s’accélère. Sans entrer directement en politique, le M5S s’est mis à labelliser des candidats sur des listes citoyennes. Cette fois-ci, Grillo se porte candidat aux primaires du PD.  » Faute d’avoir trouvé un débouché politique, le mouvement Vaffanculo devient lui-même son propre débouché.  » Le M5S est cofondé par Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio.

Les résultats électoraux, en l’occurrence, seront vite au rendez-vous : en février 2013, M5S place 163 parlementaires à la Chambre des députés et au Sénat de la République. Finie, la bipolarisation : l’Italie a basculé dans la tripartition des forces politiques – PD, droite et M5S. Après d’intenses négociations, le centre-gauche et le centre-droit optent pour la version transalpine de la Grosse Koalition à l’allemande, centre élargi que le M5S cible avec vigueur, en dénonçant ce mariage entre PDL et PD-moins-L.

L’émergence d’une nouvelle génération politique – consacrée, début 2018, par la percée de Luigi Di Maio aux élections législatives – ne change, cela dit, rien de fondamental à la plateforme programmatique du M5S. L’auteur cite une réflexion de la nouvelle incarnation du mouvement, Luigi Di Maio :  » Nous cherchons à dépasser les idéologies en nous fixant plutôt des objectifs […]. Nous sommes issus d’une tradition de référendums et de lois d’initiative populaire.  » Déjà, début 2017, parallèlement à la montée en puissance en France d’un néocentre emblématisé par Emmanuel Macron, la vie politique italienne tendit à évoluer en s’acheminant vers une recomposition globale (une  » quadripolarisation « , ose l’auteur) qui a rendu, une première fois, manifeste la perte de vitalité politique de l’ex-PCI (Parti communiste italien) ; ce dernier, aux yeux de tous, avait dilapidé son aptitude à représenter l’une des quatre sensibilités présentes dans l’espace idéologique italien, celui de la gauche radicale (l’altermondialisme). Jérémy Dousson souligne ainsi les affinités doctrinales objectives qui unissent le M5S et la France insoumise, d’un côté, Podemos de l’autre. Pourtant, en dépit de ces convergences, fait-il valoir,  » le M5S ne semble pas pressé d’occuper cet espace « . Et pour cause :  » Il refuse catégoriquement de se positionner sur l’axe gauche-droite ou un quelconque échiquier politique « .

Jérémy Dousson souligne les affinités doctrinales objectives entre le M5S et la France insoumise, d'un côté, Podemos, de l'autre.
Jérémy Dousson souligne les affinités doctrinales objectives entre le M5S et la France insoumise, d’un côté, Podemos, de l’autre.© M. Spatari/nurphoto/afp

Pas néofasciste

Où va désormais le M5S sous l’égide de Di Maio ? Sans prédire le futur, Jérémy Dousson livre des tendances. Il relate la façon dont un collectif antifasciste romain de sensibilité communiste, Militant, a distingué le mouvement grilliste de la mouvance néofasciste,  » sectaire, ideologisée et élitiste « . Une autre caractéristique des mouvements fascistes serait d' » empêcher les mouvements ouvriers de s’organiser et de se développer « . Ces derniers, selon Militant,  » leurreraient la classe ouvrière en lui indiquant le mauvais ennemi (l’Italien du Sud en 2006, l’immigré en 2016) et la détourneraient ainsi du vrai combat à mener, celui contre la classe capitaliste « . Bref, le M5S ne tomberait pas sous le coup de ce réquisitoire… Toujours selon cette typologie, il n’appartiendrait pas au territoire culturel du néofascisme ; il se développerait, ajoutent les antifascistes, dans le désert de la gauche, à un moment où le rapport de force n’est pas très propice à la mobilisation.  » Il naît des cendres de la représentation politique du monde du travail, des poussières des mouvements sociaux. « 

Reste à savoir si le M5S, en s’alliant avec la Ligue dans une liaison qui pourrait lui être fatale, saura encore  » recapter  » et  » métaboliser  » ce ressentiment, et empêcher que cette exaspération ne finisse par grossir les bataillons de l’extrême droite.

Par Alexis Lacroix.

(1) Un populisme à l’italienne ? Comprendre le mouvement 5 étoiles, par Jérémy Dousson. Ed. Les petits matins, 208 p.

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