Philipp Bekaert

« Le gouvernement grec a détruit l’Union européenne par pure bêtise »

Philipp Bekaert Membre du think tank libéral Liberales

« Les dommages politiques causés par le gouvernement populiste grec sont immenses et soyez sûrs que Moscou et Pékin s’en sont aperçus » écrit Philipp Bekaert, membre du think tank libéral Liberales.

Toute cette saga grecque me met mal à l’aise. Une partie de notre opinion publique y voit une répartition claire des rôles : Alexis Tsipras est le nouveau Robin des Bois. Dans le meilleur des cas Wolfgang Schäuble et Angela Merkel sont des vautours et dans la version moins aimable et plus répandue, ils sont des nazis incompétents et butés. Et Guy Verhofstadt est un idiot corrompu qui a manqué l’occasion de se taire quand il a fustigé Tsipras. Quant aux conditions liées au plan d’aide pour la Grèce, l’appréciation de la gauche oscille entre « nouveau diktat de Versailles » (Yanis Varoufakis) et une nouvelle forme de colonialisme (Peter Mertens). Le tout fait penser à un film d’Hollywood, on sait qui est le mauvais et qui est le héros sur son cheval blanc.

Je dois admettre que pour moi la situation n’est pas aussi claire. Je n’arrive pas à voir cette histoire en noir et blanc. Je vois évidemment la misère et les drames individuels des Grecs. Mais je vois aussi la responsabilité collective de la nation grecque. Une nation est une communauté de citoyens dotée d’une responsabilité collective (et dans cette définition, chaque mot revêt son importance). Le vote est un comportement responsable qui entraîne des conséquences. Le peuple grec ne peut élire des partis corrompus pendant des décennies, se réjouir de ne pratiquement pas payer d’impôts, se féliciter que « les Allemands » paient la facture, accepter que les fonctionnaires soient payés pour ne rien faire parce qu’ils ont la bonne carte du parti et puis se montrer étonnés quand le système s’effondre.

Référendum surréaliste

Tous ceux qui profitent d’un tel système ou le tolèrent sont coresponsables. C’est là l’essence de la démocratie. Si la crise de financière de 2008 et les spéculateurs ont évidemment semé le désordre, la Grèce était moins bien armée que d’autres pays pour y résister et c’est d’abord la faute des Grecs eux-mêmes. D’autres pays s’en sont mieux tirés. Affirmer que notre comportement électoral ne peut entraîner de conséquences négatives, que c’est la faute des « politiques », mais certainement pas la nôtre (qui avons voté pour eux), c’est se moquer de la démocratie.

Alexis Tsipras l’a bien compris. Comme nation, les Grecs ont donné un mandat au gouvernement Tsipras. Ils n’ont que ce qu’il mérite. La grande majorité des Grecs ont décidé de croire aux promesses électorales peu réalistes de monsieur Tsipras, mais cela ne lui a pas suffi : « Alors qu’il s’avère à quel point mes promesses étaient irréalistes, je suis trop lâche pour faire ce que j’ai promis, donc veuillez confirmer que c’est ce que vous voulez afin de ne pas pouvoir dire après que ce n’était pas votre choix ». C’est se moquer de la démocratie représentative ! Mais il a réussi à tromper les Grecs : par un référendum aussi aberrant que surréaliste, ils ont dû voter une proposition européenne qui n’existait déjà plus, à laquelle ils ont répondu non avec une majorité écrasante … et à laquelle Tsipras a finalement dit oui, tout en ajoutant qu’il ne croyait pas au document qu’il venait de signer.

Un enfant de cinq ans comprend qu’on ne peut promettre de l’argent qu’on n’a pas. Même si on n’est pas très versé en économie, on comprend qu’on ne peut stimuler la croissance économique et le pouvoir d’achat durablement en continuant à arroser d’argent un corps de fonctionnaire surfait et des privilégiés. L’économie grecque est structurellement malade. C’est pourquoi les partenaires économiques de la Grèce ne souhaitent plus injecter de l’argent dans le pays sans réformes structurelles au préalable.

Bluffer et mentir

Et ils ont raison. Je ne suis pas économiste, mais parfois j’ai l’impression persistante que j’en connais plus en économie que les détenteurs du pouvoir à Athènes. Qu’est-ce que c’est que l’argent ? Qu’est-ce qui fait que la valeur d’un billet de 20 ou 50 euros est reconnue partout dans le monde ? Ce n’est évidemment pas le matériau des billets (contrairement aux pièces d’or de l’époque). Non, ce qui fait la valeur de nos billets, c’est que chacun croit en cette valeur : credere en latin, le crédit c’est donc d’abord la foi et la confiance. Injectez des milliards dans une économie structurellement faible qui n’inspire confiance à personne, et cet argent perd automatiquement de sa valeur. Les Allemands le savent très bien depuis la grande inflation de 1923. Les injections demandées aujourd’hui par le gouvernement grec n’ont donc pas beaucoup de sens. Au contraire, ils entraînent toute la zone euro dans le gouffre, d’autant plus que le gouvernement grec a déjà fait part de sa mauvaise volonté de concrétiser l’accord avec les créanciers.

Le gouvernement grec a détruit par pure bêtise ce qui a été construit péniblement pendant des années : l’Union européenne

Ainsi, j’en arrive aux dommages politiques causés par le gouvernement grec populiste en Europe : en menant les négociations de ces derniers mois de façon absolument irresponsable en bluffant et mentant en permanence, en disant blanc le premier jour et noir le deuxième jour, le gouvernement grec a détruit par pure bêtise ce qui a été construit péniblement pendant des années : l’Union européenne. Les dommages politiques sont immenses et soyez sûrs que Moscou et Pékin s’en sont aperçus.

Restez en dehors!

Et au sein de l’Europe aussi, les conséquences se feront rapidement sentir. Il y avait évidemment très peu de chance que les Britanniques renoncent à leur livre. À présent, cette possibilité est inexistante. Et pour l’Européen convaincu que je suis, c’est frustrant : à l’époque, on pouvait encore discuter. Maintenant, il faut donner raison aux Britanniques sans discuter. Une zone euro dans laquelle cette saga grecque est possible est une aberration. Je déconseillerais à tous ceux que j’aime de rester en dehors de la zone euro.

Et enfin, pratiquement tous les habitants adultes de Grèce ont, consciemment ou pas, comme enfant ou déjà comme adulte, profité du système corrompu de ces dernières années. Je ne demande pas de mea culpa de chaque Grec – personne ne le fait – mais dans les circonstances actuelles un peu de modestie et moins d’arrogance honoreraient la nation grecque. Il me semble qu’il n’est jamais une bonne idée de mordre la main dont on espère de l’argent. Les accusations et comparaisons nazies permanentes à l’égard de l’Allemagne sont stupides et de mauvais goût. Je réfléchirais à deux fois avant de qualifier le gouvernement allemand d’incompétent en matière de décisions économiques. À présent, Wolfgang Schäuble est le mauvais qui s’était trompé sur toute la ligne et qui heureusement a mordu la poussière. Robin des Bois triomphe. Reste à voir si Robin des Bois est capable de gérer les finances de l’état…

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