Carte blanche

Le drame du coronavirus et son odieux « chiffrage » politico-médiatique

Depuis bientôt deux semaines, la sphère politico-médiatique ne cesse pas de nous livrer des chiffres (mais aussi des tableaux ou graphiques tout en couleurs et chiffrés) sur l’actuelle épidémie meurtrière du coronavirus.

Ces chiffres, bien entendu, chacun les perçoit, à très juste titre, comme des révélateurs ou des indicateurs « objectifs » susceptibles de lui faire prendre conscience de l’ampleur, locale, nationale ou internationale, de la situation dramatique que cette épidémie entraîne. Outre les images tragiques qui les accompagnent, relevons que ce sont donc surtout des chiffres, à ce jour, alarmants (relatifs au nombre de morts et de contaminés) qui, jusqu’à présent, nous angoissent et – outre les injonctions ou directives gouvernementales – nous poussent à respecter le Confinement (et/ou à nous précipiter dans des supermarchés !). Les chiffres ont donc, c’est un fait, le pouvoir d’agir ou d’influer sur nos affects et comportements.

Chacun peut donc dire que les chiffres l’aident, indéniablement, à juger de l’état actuel du désastre lié au coronavirus. Mais ne voit-il pas que ces chiffres ne réveillent en lui que la crainte de la mort ou celle d’être contaminé ? En d’autres mots, ne voit-il pas qu’il oublie les « victimes » au seul et unique profit du souci de « la préservation de soi », par essence, égoïste ? (La précipitation d’un très grand nombre de personnes dans les supermarchés ne dit pas autre chose : Sauve-qui-peut ! Ou : Chacun pour soi !) Bref, si les chiffres sont là uniquement pour nous effrayer et pousser à respecter, strictement, le confinement, alors le propre de ces chiffres est de nier cette tragédie en cours : la mort, la disparition de milliers et milliers de personnes.

Si le propre des chiffres – comme les pièces dans le circuit d’une production industrielle – est en effet celui de s’additionner (1+1+1+… = X), les vies humaines qui ont été décimées par le coronavirus, elles, précisément, ne s’additionnent pas : chacune de ces vies était UNIQUE, à nulle autre pareille. Seules les larmes et souffrances des proches des morts – et non les médias ! – vous le diront ! Les chiffres éradiquent assurément l’unicité ou la singularité (physique, historique, subjective, érotique…) de chaque mort, et la douleur qu’il a endurée, au seul et unique profit du « Tous pareils ! » : un mort = 1. On oublie donc que derrière le chiffre « 1 », il y avait « quelqu’un ».

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Si le virus nous atteint ainsi, nous, auteurs de ce présent texte, et nous tue aujourd’hui, nous grossirons les chiffres de la mortalité du jour de « deux unités » (1+1=2) ! La singularité de chacun d’entre nous (notre histoire, nos désirs, nos idéaux, nos rêves, nos amours…) sera donc forclose par le simple chiffre « 1 ».

Du coup, un vivant ou un être humain qui survit au coronavirus n’est rien d’autre qu’un « 1 » qui se soustrait (-1) du compte actuel des morts… Rien que ça !… Que ce (sur)vivant se le dise !… A l’heure de ce chiffrage odieux généralisé (planétaire), il importe en effet à chacun de se poser sérieusement la question de ce que sont devenues, aujourd’hui, la vie (-1) et la mort (1) d’un être humain. Et encore plus, lorsque cet être humain, eu égard à son âge, est voué au « rebut » et ainsi parqué, eu égard donc à son « inutilité économique » (donc comptable), dans ces « camps de la mort » ou « mouroirs » que sont, qu’on le veuille ou pas, les « maisons » dites « de repos » (!). (Cf. l’Espagne où des personnes âgées ont été réellement abandonnées et laissées mourir… Mais aussi le choix sordide qu’ont été contraints certains d’appliquer face à la carence scandaleuse de lits de réanimation : « Faire vivre » le « plus jeune » et « laisser mourir » – ou « tomber » – « le plus vieux » !…)

À l’heure de ces odieux chiffrages, il est donc peut-être temps pour chacun ou chaque « confiné » de « dé-chiffrer » le discours politico-médiatique qui nous rapporte une tragédie humaine (et non une « crise sanitaire » ! ) avec une novlangue où l’humain est, ignominieusement, ratatiné au statut d’une simple « pièce » comptable.

Auteurs: MohamedBen Merieme et DavidVanhoolandt, philosophes.

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