Le coeur du nouveau bâtiment, dressé au milieu d'un atrium, ressemble à un flacon dans son écrin carré. © SAMYN & PARTNERS

Le Conseil européen s’installe dans son nouveau siège bruxellois, Europa

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le bâtiment superéquipé aura coûté 315 millions d’euros. Rencontre avec l’architecte belge Philippe Samyn, concepteur du projet.

Est-ce à cause des mesures d’austérité qui pèsent toujours plus sur les citoyens européens ? Ou en raison du fossé qui ne cesse de s’élargir entre l’Europe et les opinions publiques ? De toute évidence, le Conseil européen ne clame pas sur tous les toits qu’il s’est offert un nouveau siège à 315 millions d’euros, rue de la Loi, à Bruxelles. Jusqu’ici, il n’est pas prévu d’inaugurer en grande pompe l’étonnant bâtiment. Néanmoins, Europa, amphore ou lanterne géante lovée dans un écrin cubique de verre et de bois, pourra être visité le 10 décembre prochain lors d’une journée portes ouvertes. Les premières réunions officielles du Conseil européen s’y tiendront début 2017.

Le décor des salles et des foyers, créé par Georges Meurant, est un patchwork de couleurs.
Le décor des salles et des foyers, créé par Georges Meurant, est un patchwork de couleurs.© SAMYN & PARTNERS-COLOURS: GEORGES MEURANT-PHOTO: MARIE-FRANÇOISE PLISSART

Dressé à côté de la silhouette massive du Justus Lipsius (le complexe du Conseil depuis 1995), le nouveau siège abrite, dans des étages elliptiques de dimensions variables, les salles de réunion du Conseil européen – sommets des chefs d’Etat et de gouvernement – et du Conseil de l’Union – réunions des ministres -, des restaurants, les bureaux des délégations des pays membres et une partie des services du secrétariat du Conseil.  » Les finitions et le câblage des salles et des bureaux sont terminés « , précise l’un des responsables du chantier. La Régie des bâtiments, qui a assumé le rôle de maître d’ouvrage, a livré l’immeuble, et les services du Conseil ont pris le relais ces dernières semaines pour équiper les locaux en vue du déménagement.

Une réunion test début décembre

 » Début décembre, les ambassadeurs des pays membres joueront les cobayes, indique une source en interne : ils tiendront dans le nouveau bâtiment une réunion qui fera office de test. Nous pourrons ainsi vérifier que tout fonctionne bien, de la sonorisation aux ascenseurs.  » Toutefois, ces représentants permanents des gouvernements, qui préparent les travaux du Conseil, ne feront pas partie des fonctionnaires appelés à quitter le Justus Lipsius pour Europa.  » Les deux bâtiments sont reliés par des passerelles, non encore mises en service « , nous informe-t-on.

Le chantier se termine quelque vingt-et-un mois après la date prévue. En cause, selon Laurent Vrijdaghs, administrateur général de la Régie des bâtiments : la conception du bâtiment et des retards de paiement. La construction de l’immeuble où se tiendront les futurs  » sommets européens  » a dû intégrer de nombreuses contraintes : le site fait partie d’un ensemble urbain chaotique et est traversé par la nouvelle ligne de chemin de fer Schuman-Josaphat. En outre, le nouvel immeuble s’adosse au Résidence Palace, joyau du patrimoine Art déco, édifié entre 1923 et 1927 par l’architecte Michel Polak. Le respect de nombreuses exigences politiques et sécuritaires a, lui aussi, rendu le projet ardu. Un défi de taille pour la Régie, dont l’image avait été ternie par sa gestion calamiteuse du chantier de désamiantage et de rénovation du Berlaymont, le  » navire amiral  » de la Commission européenne, situé de l’autre côté du rond-point Schuman.

 » Extravagance  » et  » gaspillage  » ?

Philippe Samyn :
Philippe Samyn : « L’architecture n’a pas à être prétentieuse. »© JOAKEEM CARMANS POUR LE VIF/L’EXPRESS

Les milieux et médias populistes et eurosceptiques, en particulier au Royaume-Uni, ont raillé le  » grand oeuf  » d’Europa, symbole évident, selon eux, de l’extravagance et du gaspillage de l’Union européenne. L’utilité du bâtiment est toutefois peu contestée : les services du Conseil étaient à l’étroit dans le Justus Lipsius, conçu il y a une trentaine d’années. L’Europe s’est élargie depuis lors et le Conseil européen s’est doté d’un président, le Polonais Donald Tusk depuis décembre 2014 – son mandat doit être renouvelé dans sept mois -, dont le bureau a été aménagé dans l' » amphore « .

Si des passants sont intrigués par la façade d’Europa, avec ses traverses et montants qui forment comme une immense cage de scène – le bois provient de châssis de fenêtres récoltés symboliquement dans tous les pays membres -, des voix regrettent que l’immeuble ne soit pas plus audacieux.  » Dans un quartier européen où l’on a trop souvent construit des bureaux selon les critères de la promotion immobilière, sans porter beaucoup d’attention à la qualité architecturale, ce bâtiment sort du lot, admet un architecte belge. Mais on aurait aimé qu’il soit aussi un repère visuel fort au coeur de la ville. En journée, la lanterne reste cachée dans sa boîte.  »

Les passants sont intrigués par la façade d'Europa, avec ses traverses et ses montants en bois.
Les passants sont intrigués par la façade d’Europa, avec ses traverses et ses montants en bois.© SAMYN & PARTNERS-PHOTO: QUENTIN OLBRECHTS

Plus admiratifs, quelques-uns des premiers fonctionnaires européens à avoir pu visiter les lieux confient avoir été impressionnés par le grand atrium et la forme  » bizarre  » édifiée en son sein pour accueillir bureaux et salles de réunion.  » La vraie dimension architecturale du nouveau siège du Conseil échappe à l’oeil, souligne le bureau Samyn and Partners, chargé de la conception d’Europa. Elle se niche dans les détails, dans les aspects technologiques et écologiques de l’immeuble, pour lequel on a prévu notamment des récupérateurs d’eau de pluie, un chauffage par les vitres, des panneaux solaires.  » Nous avons rencontré Philippe Samyn, l’architecte et ingénieur belge qui a signé le bâtiment, au terme d’un projet qui l’a accaparé pendant une douzaine d’années.

Certains médias ont pointé le coût du bâtiment Europa, quelque 315 millions d’euros, pour dénoncer la gabegie européenne. Beaucoup ont dénoncé une  » explosion du budget « . Salée, la note du nouveau siège du Conseil européen ?

Dans des projets immobiliers d’une telle complexité, les dépassements sont fréquents et peuvent représenter entre le double et le quintuple du budget prévu. Ce n’est pas le cas ici, alors que nous avons dû modifier les plans à plusieurs reprises, et cela pour nous conformer aux innovations institutionnelles issues du Traité de Lisbonne. D’un devis initial de 240 millions d’euros, chiffre de 2004, nous sommes passés à quelque 300 millions d’euros. Mais cela ne signifie pas que le budget a  » explosé « . Ce montant de 300 millions correspond grosso modo au chiffre de 2004 actualisé. Reste à ajouter à cette somme le coût des modifications demandées par le Conseil. Son évaluation est en cours. Au final, l’objectif fixé au départ sera à peine dépassé.

Quelles adaptations avez-vous dû prévoir ?

Il a fallu déplacer, dans le nouveau bâtiment, le bureau du président du Conseil et les services de celui-ci. Nous avons aussi dû prendre en compte les nouvelles exigences en matière de sécurité, alors que les plans d’Europa avaient été dessinés dans les années 2006-2007. Une gare souterraine et une ligne de chemin de fer qui traverse le site en diagonale ont été creusées tandis que nous construisions le bâtiment. De telles contraintes sont peu communes sur un chantier. De plus, le coût du bâtiment comprend un équipement nettement plus sophistiqué que dans n’importe quel siège de compagnie privée : projecteurs, caméras et autre matériel onéreux. Enfin, nous avons conçu une architecture  » durable « , alors que, dans le quartier européen de Bruxelles, les immeubles de promotion trentenaires ont presque tous déjà dû être rénovés.

D’où vous est venue l’idée du dessin de la façade, avec sa trame de châssis de fenêtre de récupération ?

Des eurosceptiques n'ont pas hésité à railler le
Des eurosceptiques n’ont pas hésité à railler le  » grand oeuf « , signe, pour eux, d’extravagance.© SAMYN & PARTNERS-PHOTO: MARIE-FRANÇOISE PLISSART

J’avais déjà songé autrefois à utiliser de vieux châssis. C’était pour un projet de crèche, à Boitsfort. Le réemploi apporte une forme de douceur, appropriée pour des bambins. J’ai voulu un immeuble européen qui, contrairement à d’autres, n’exprime pas l’arrogance, mais plutôt la recherche d’harmonie. Le geste débridé me semblait inapproprié. Lors du concours, nous avons sans doute été choisis précisément pour la simplicité du projet, sa symbolique élémentaire. Dans L’Intelligence des fleurs, Maeterlinck évoque merveilleusement l’ingéniosité de la vie végétale, qui entreprend beaucoup avec peu de moyens. L’architecture n’a pas à être prétentieuse.

Votre marge de manoeuvre en tant qu’architecte a-t-elle souffert des impératifs politiques et autres contraintes ?

Curieusement, de tous mes chantiers, c’est celui au cours duquel on m’a laissé le plus de liberté. On peut dire que je suis responsable de tout ce que l’on peut voir aujourd’hui sur le site. Entouré de centaines de personnes, ingénieurs, décorateurs, ouvriers…, je me suis senti souvent seul face à Dieu. C’est drôle de dire cela, alors que je ne suis pas croyant ! A l’opposé du sinistre immeuble des Nations unies à New York, conçu comme s’il fallait absolument être sérieux entre ses murs, j’ai voulu un bâtiment joyeux. Le décor des portes et des parois, créé par Georges Meurant, est un patchwork de couleurs. Je dois vous avouer que les réactions masculines devant ces surfaces multicolores sont mitigées, alors que les femmes disent apprécier.

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