Thierry Fiorilli

Le bruit de la semaine: « Une fois le prix fixé, ou l’appât brandi, parjure et trahison sont toujours envisageables »

Thierry Fiorilli Journaliste

Le dernier Elena Ferrante, La Vie mensongère des adultes, est l’histoire d’une gamine, à Naples, dont les parents et leurs amis, très cultivés, usent de fort beaux mots, de concepts brillants, de raisonnements élaborés pour discuter politique, philosophie, art, histoire ou bon goût.

Chez ces gens-là, on ne parle pas. On discourt. Sauf que ce joli monde trompe, jalouse, convoite et calcule allègrement. On juge et jauge apparences, relations et opportunités. On enseigne la hauteur mais on s’offre à toutes les trivialités pour une estrade, un panthéon, une vue sur mer, pour approcher la plus avenante, pour flatter le plus puissant, pour que mes travaux soient reconnus, tu lui as parlé de moi ?

Comme le médite l’héroïne de Ferrante, évoquant son père,  » je n’ai jamais compris comment un homme qui se consacrait tant à la pensée et à la recherche, capable d’exprimer très clairement des idées complexes, pouvait parfois se lancer, emporté par ses émotions, dans des discours aussi décousus « . Pour expliquer ses mensonges et ses traîtrises. C’est que Kant, Nietzsche, Vito Corleone, Tony Montana, Marcelo Odebrecht, Sepp Blatter et tant d’autres l’ont dit (ou appliqué) : chacun et chacune a son prix. Et, guidé par la soif d’ascension, qui fait s’estomper cette géographie plus ou moins intime, plus ou moins commune, où s’entrelacent normes, convictions, loyauté, estime de soi et grandeur d’âme, chacun et chacune finit par poser des gestes en totale incohérence avec, si pas ce qu’il est réellement, au moins ce qu’il s’efforce d’afficher depuis des lustres.

Chacun et chacune, donc. Le menu fretin et l’élite. Ainsi des deux actuels négociateurs en chef pour un futur gouvernement fédéral. Deux intellectuels. Qui parlent beaucoup et souvent. Très conscients de leur envergure. Donc méprisant tous les autres, sauf ceux susceptibles de les catapulter encore plus haut. Dans l’histoire, pour celui du Nord, qui se comparait à Jules César, avant, maintenant je suis devenu Auguste. Au 16 puis à l’Europe, pour celui du Sud, qui aime Pasolini et Gramsci. Ces deux-là sont rivaux, détestent que ce soit les autres qui brillent et sont prêts à tout au nom de leurs aspirations respectives. Collectives, pour celui du Nord, qui n’a pas hésité à publier un livre sur le régime qui lui a fait perdre 40 kilos. Personnelles, pour celui du Sud, qui n’a pas hésité à publier un livre sur la façon dont il fait du pain.

Parce qu’ils risquaient de ne pas être du banquet fédéral, ou alors tout en bout de table, parce que des moins qu’eux jouaient les jeunes premiers, parce qu’il a fallu affronter une crise comme jamais et qu’on n’a pas eu trop besoin d’eux pour ça, parce que certains les y encourageaient, chacun et chacune dans des intérêts plus ou moins généraux, ces deux-là ont décidé de s’associer. Se justifiant toujours par l’intérêt plus ou moins général, l’un du Nord, l’autre du Sud évidemment. Mais reniant des pans entiers de leur jusque-là sacro-sainte homélie prononcée urbi et orbi. Comme chacun et chacune. Une fois le prix fixé, ou l’appât brandi, parjure et trahison sont toujours envisageables.

Dans le roman, la gamine voit soudain son père, ce si bel et grand esprit, comme un petit homme fragile.

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