Lailuma Sadid © Twitter

Lailuma Sadid, la journaliste afghane qui refusait de porter le voile (entretien)

Charly Pohu Journaliste

Elle s’est battue pour le droit à l’éducation des jeunes filles sous les talibans. Elle a fait une carrière dans les médias, et a refusé de porter le voile. Elle a travaillé auprès de l’OTAN. Aujourd’hui, Lailuma Sadid est réfugiée politique, et travaille comme journaliste pour le média international Brussels Morning. A l’heure où une « nuit noire » tombe sur son pays, elle se livre au Vif

« Durant le régime des talibans, j’ai commencé une classe secrète pour les filles. Après quelques mois j’ai reçu un avertissement, me disant d’arrêter. Mais j’ai dit non », nous raconte Lailuma Sadid. Sous les talibans, toutes les activités pour les femmes étaient interdites. « On était comme des prisonnières ». Interdit de sortir de chez elles. Interdit de voir le soleil par la fenêtre. Interdit d’aller à l’école, à l’université, au travail. Même pour aller chez le médecin, il fallait être accompagné de l’homme de la maison.

« Faire une classe secrète n’était pas facile. Mais je me suis dit que je devais le faire. » La famille de Lailuma s’était toujours engagée pour donner des chances aux filles, elles étaient toujours la priorité à la maison. « Mais les talibans m’ont puni deux fois. Ils m’ont fouettée. Et je me suis dit que je devais arrêter, ils menaçaient de me tuer. »

u0022Avec le confinement, tout le monde est devenu malade de rester chez soi pendant deux trois mois. Nous toutes, on a dû rester chez nous pendant cinq ans.u0022

Lailuma et sa famille sont ensuite parties vers le nord de l’Afghanistan, où sa soeur et son frère travaillaient comme médecins, et où Lailuma a pris un poste dans une école primaire, le seul niveau disponible. Sa soeur et elle ont alors décidé de créer une école secondaire. « Ce n’était pas facile, l’Afghanistan est un pays religieux. » L’école pour les filles n’est que jusque 12 ans, et après, c’était fini. « Si votre fille étudie, elle peut devenir médecin, professeur, et elle va pouvoir vous aider financièrement », relativisaient-elles devant les réticents. Cette école a été lancée en 1999. « C’était une victoire pour moi, j’étais contente d’avoir pu faire quelque chose pour les filles. »

La journaliste sans voile

Avant les talibans, elle étudiait le journalisme à l’université de Kaboul. Après qu’ils aient été chassés, elle a repris les études et obtenu son diplôme. En 2002, elle a été la premirère femme à l’université à refuser de porter la burqa. En 2003, elle a commencé à travailler comme journaliste, où elle était la première femme à apparaître dans les médias et dans les conférences de presse sans voile. « Je voulais des droits, je voulais notre liberté. C’était la démocratie, c’était comme une révolution. »

Les menaces se comptaient en milliers, les interviews refusées aussi. On ne voulait pas la laisser rentrer aux conférences de presse. Ou on pensait qu’elle était une journaliste étrangère, et on lui parlait en anglais. « Après plusieurs directs depuis les conférences de presse du président, on m’a laissé poser des questions, mais les gens m’ont reconnu et m’ont menacée. Mais tous les Afghans ne sont pas comme ça. » Elle s’est souvent battue avec ses collègues masculins, pour défendre son choix, que sa famille acceptait. Après cinq – six ans, elle a reçu des avertissements officiels, ainsi que sa famille.

Le choix était difficile, mais elle a dû arrêter, et changer de carrière. Après trois ans aux Ministère des Affaires Etrangères, elle a été envoyée à l’ambassade afghane, à Bruxelles, et pour l’OTAN. En 2012, elle retourne en Afghanistan, mais la situation est difficile et dangereuse. Tout avait changé, on la menaçait dès son arrivée. « Tu connais la situation. Ce pays ne va jamais évoluer dans le sens que tu souhaites, on ne peut pas te soutenir, on ne peut pas te protéger. Tu devrais porter la burqa pour te protéger », lui dit un collègue du ministère alors qu’elle voulait s’installer à Kaboul et continuer à travailler pour les Affaires étrangères.

« S’ils voulaient me tuer, ils auraient pu. Je serais morte heureuse de ne pas devoir porter la burqa », réfléchit-elle. Après moultes réflexions, elle décide de retourner en Belgique et de demander l’asile politique, où elle reprend des études en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles. « La vie n’est pas toujours facile mais j’essaie de rester forte. Je fais tout ce que je peux pour soutenir les femmes afghanes, qui vivent toujours sous la menace. »

« Il ne faut pas reconnaître les talibans »

« Avec le confinement, tout le monde est devenu malade de rester chez soi pendant deux trois mois. Nous toutes, on a dû rester chez nous pendant cinq ans », compare Lailuma. L’émotion dans sa voix est très forte. « Je vois ces images sombres des talibans. Tout revient dans mon esprit. Ça va arriver à nouveau, au 21e siècle, en Afghanistan. »

Elle ne veut pas que le monde refasse la même erreur de reconnaître les talibans comme gouvernement légitime. « Ils donnent le droit des femmes selon la charia. Mais la charia est la même qu’à l’époque. » Leur mentalité et leur idéologie n’ont pas changé. « Il y a quelques mois, dans les négociations officielles, il n’y avait que peu de femmes. L’une d’entre elle a salué les talibans, qui ont détourné leur visage. »

u0022Il ne faut vraiment pas reconnaître les talibans. Il y aura une guerre sanglante.u0022

Ils mentent au monde. Ils veulent faire croire qu’ils ont changé. Pour Lailuma, l’Occident ne regarde que ce qui se passe à Kaboul, mais Kaboul n’est pas le reste de l’Afghanistan : dans le Nord, les talibans ont commis beaucoup d’actes de violence. Rapt de jeunes filles. Refus de laisser les femmes travailler. La famille de Lailuma habite dans le Nord, mais depuis plusieurs mois les menaces étaient fréquentes, et elle est partie à Kaboul, où rien n’est sûr non plus. Depuis deux jours, le mari de sa soeur a disparu.

« Comment le monde peut être aveugle ? Il faut parler aux gens ordinaires et pas qu’aux représentants. On voit les images des Afghans qui essaient de fuir à l’aéroport. Ils savent très bien que les talibans sont toujours les mêmes. Je suis sûr que la personne qui est tombée de l’avion savait qu’elle allait mourir, mais elle a préféré se tuer que mourir de la main des talibans. »

Pour Lailuma, la présence internationale a été un échec. Tant d’argent investi pour reconstruire le pays, tant de soldats morts et blessés, tout ça pour ça. Elle critique vivement les officiels afghans, également. « Le trafic de drogue et la mafia sont omniprésents. Le gouvernement corrompu est devenu un mendiant. Personne ne demande des comptes pour l’argent que la communauté internationale leur a donné. Rien n’est reconstruit. » Sous le président Ghani, le terrorisme était omniprésent. Le terrorisme d’Etat contre les dissidents et les critiques, aussi, dépeint-elle.

« Il ne faut vraiment pas reconnaître les talibans. Il y aura une guerre sanglante », déplore-t-elle.

Les idées des talibans en Belgique

Mercredi a eu lieu une manifestation en soutien aux Afghans, par les Afghans de Bruxelles, devant la Commission Européenne, organisée par Lailuma. Des personnes ont commencé à lui faire des commentaires, on l’a même poussée. Elle leur a dit qu’en Belgique il y a des lois, et qu’elle n’hésiterait pas à porter plainte à la police. A la manifestaion, des personnes étaient présentes pour crier leur soutien aux talibans. D’autres pour le président déchu. Elle les a chassés.

« Il y a des Afghans en Belgique qui ont la même mentalité que les talibans. Il faut leur dire que ce n’est pas l’Afghanistan ici. On ne peut pas traiter les femmes comme ça, comme ils veulent, qu’elles restent chez elles et ne travaillent pas« . Elle estime qu’en Europe, on ne regarde pas d’assez près les réfugiés qu’on accueille, qu’on refuse des personnes diplômées et utiles aux pays, pour prendre des personnes sans éducation, qui soutiennent des idées extrêmement sexistes.

Elle se sent plus proche des Belges, aujourd’hui. La Belgique est devenu son deuxième pays, elle se sent en bon termes avec ses nouveaux concitoyens. Mais elle pense à sa famille, à ses proches, désespérée et inquiète. « Ce n’est pas que mon histoire, c’est celle de milliers de femmes. Une nuit noire est en train de s’abattre sur le pays, il n’y a plus de lumière. »

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