© Belga

La triste fin de Siddhartha, le magnat indien du café

Muriel Lefevre

V.G. Siddhartha est l’homme qui a réussi à faire aimer le café à l’Inde pourtant si férue de son thé. Sa chaîne de café Coffee Day est aussi omniprésente dans ce pays que Starbucks l’est ici. Lundi, au soir d’une vie digne d’un roman, le milliardaire a disparu dans les flots d’une rivière indienne. Récit.

Siddhartha est un milliardaire indien, propriétaire de la chaîne de cafés Coffee Day, l’une des plus grandes au monde. Lundi, le magnat âgé de 57 ans a voulu faire une promenade et demande à son chauffeur de le déposer sur un pont de la rivière Netravati dans l’État du Karnataka. Deux heures plus tard, ne le voyant pas revenir, son chauffeur avait alerté les autorités qui avaient lancé les recherches dans le secteur de Mangalore.

Sa dépouille va finalement être retrouvée par un pêcheur sur les berges d’une rivière au sud du pays. Très vite on parle de suicide puisque, selon les médias locaux, il souffrait de dépression depuis une série de raids du fisc en 2017 dans des bureaux de ses sociétés. Plusieurs médias indiens ont ainsi publié une lettre envoyée par Siddhartha aux actionnaires de l’entreprise, dans laquelle il se dit « vraiment désolé de laisser tomber tous les gens qui ont mis leur confiance en (lui) ». « Je me suis battu longtemps, mais aujourd’hui j’ai abandonné, car je ne pouvais plus supporter la pression de l’un des partenaires de capital-investissement me forçant à racheter ses actions », indique le texte, qui sonne comme un adieu.

Une impression encore renforcée par le fait que l’entreprise devait faire face à des dettes fiscales et à une concurrence de plus en plus forte. Selon certaines rumeurs, Siddhartha envisageait même une prise de contrôle par Coca-Cola.

De plus, un partenaire d’affaires auquel il avait emprunté beaucoup d’argent l’aurait poussé à acheter ses propres actions. Il se dit aussi que de nombreuses transactions financières secrètes ont été dissimulées aux comptables et aux inspecteurs des impôts.

Pour l’instant la police ne confirme pas la thèse du suicide. « Nous avons envoyé son corps pour l’autopsie et nous attendons les résultats », a déclaré à l’AFP Sasikanth Senthil, commissaire adjoint du Sud du Karnataka. Le commissaire de Mangalore Sandeep Patil a précisé qu’une enquête était en cours sur les causes de sa mort, pour déterminer si V.G. Siddhartha a bien mis fin à ses jours.

À la tête d’un empire

Celui qui se rêvait comme un Robin des bois qui veut aider les pauvres s’est vite rendu compte que son pays était trop pauvre pour pouvoir redistribuer les richesses. « C’est là que j’ai réalisé qu’au lieu d’être un distributeur de richesse, je devais devenir un créateur de richesse », dira-t-il dans un interview. Il va persuader un pays qui a grandi avec le thé de consommer autre chose : le café.

Cela a fait de lui un homme riche, l’un des plus riches de l’Inde et, pendant un bref instant après l’introduction en bourse de Coffee Day en 2015, un milliardaire. Siddhartha représentait tout ce que l’Inde rêvait de devenir : une nation moderne où les entrepreneurs pouvaient brasser de nouvelles idées, changer leur vie et la situation de tous ceux qui leur étaient proches. Un parti pris radical dans cette nation coincée par la rigidité millénaire due aux castes et une structure sociétale qui semblait immuable. Siddhartha en était pleinement conscient. « Si j’étais né 20 ans plus tôt, j’aurais sûrement échoué « , a-t-il déclaré en 2011. Lui qui avait épousé une fille de l’ancien chef de la diplomatie indienne et ancien ministre en chef du Karnataka S.M. Krishna.

La famille de V.G. Siddhartha est dans le commerce du café depuis plus de 130 ans. Il possède près de 12.000 hectares de plantations et sa société Amalgamated Bean Company (ABC) est le plus important exportateur de café vert (café non torréfié) d’Inde.

Dans les années 1990, le gouvernement indien a allégé la réglementation sur les producteurs de café. Auparavant, ils avaient été forcés de vendre à une chambre de compensation nationale pour 35 cents la livre, soit moins de la moitié de ce que les grains pouvaient rapporter à l’étranger. La disparition de ces réglementations va permettre aux prix du café d’augmenter. Au même moment une période de gel au Brésil va décimer les récoltes et ouvrir une brèche dans le marché et faire du café une affaire rentable.

La triste fin de Siddhartha, le magnat indien du café
© Belga

Siddhartha va se sentir pousser des ailes et avoir l’idée de créer une chaîne. En 1994, Coffee Day Enterprises ouvre ses 20 premiers magasins. Et comme Siddhartha possédait des plantations de café, il pouvait réduire le nombre d’intermédiaires qui ajoutaient des dépenses à celles de ses rivaux ; il extrayait même le bois de ses propriétés et le transformait en meubles pour ses restaurants. Le Coffee Day a vraiment décollé une fois qu’il a ajouté des ordinateurs avec accès à Internet, créant certains des premiers cybercafés de l’Inde dit Forbes.

Lorsque Siddhartha a introduit sa société en bourse, son royaume de la caféine s’étendait à travers l’Inde : 1.513 cafés dans 219 villes. Mais pour continuer à se développer, Siddhartha va devenir accro au financement par emprunt. Un choix qui va lourdement lui peser à la fin de sa vie, car il ne parviendra plus à rembourser ses créanciers.

Siddhartha aurait laissé derrière lui une note décrivant le chagrin qui l’a mené à sa fin tragique. Il a souligné le harcèlement d’un fonctionnaire du fisc, ce qui a incité les politiciens indiens à crier que le gouvernement n’en a pas fait assez pour stimuler des entrepreneurs comme Siddhartha et lutter contre la corruption.

Son probable suicide illustre donc aussi une réalité plus sombre qui montre les limites du miracle économique indien et les contraintes de créer une entreprise dans un marché en développement et qui souffre de corruption.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire