Arnaud Zacharie

La régulation inachevée de la finance mondiale

Arnaud Zacharie Secrétaire général du CNCD-11.11.11

Suite à la crise financière de 2008, le G20 s’était engagé à réguler la finance mondiale pour éviter qu’une telle crise puisse se répéter. Dans ce but, il a confié au Comité de Bâle le soin de renforcer les réglementations prudentielles des banques et à l’OCDE la tâche de renforcer la transparence fiscale internationale.

Dix ans plus tard, plusieurs mesures ont été adoptées pour mieux encadrer les banques et lutter contre l’évasion fiscale. Toutefois, les détails de ces réformes sont toujours en cours de négociation et le bilan de la régulation de la finance mondiale reste insatisfaisant.

En matière de réglementation bancaire, la principale avancée a consisté à renforcer les exigences de fonds propres pour couvrir les opérations risquées des banques. Toutefois, le ratio recommandé par le Comité de Bâle reste trop peu élevé et repose en partie sur une pondération des risques calculés par les modèles internes des banques elles-mêmes. En outre, les fonds spéculatifs et les autres acteurs de la finance de l’ombre (shadow banking), qui ont été au coeur des chaînes de risques ayant mené à la crise de 2008, sont largement restés hors du champ des nouvelles réglementations. En réalité, malgré la négociation d’une trentaine de nouvelles règles internationales, la réglementation bancaire est restée un exercice essentiellement national et fondé sur l’autorégulation.

Au niveau européen, l’Union bancaire, qui représente la principale réponse de l’Union européenne à l’instabilité financière, reste inachevée. Certes, un Mécanisme de supervision unique (MSU) a été créé au sein de la Banque centrale européenne (BCE) pour superviser les banques européennes les plus importantes, tandis qu’un Mécanisme de résolution unique (MRU) est censé privilégier en cas de crise bancaire les renflouements internes, financés en priorité par les actionnaires et les créanciers des banques défaillantes, plutôt que les plans de sauvetage externes, financés par les contribuables. Toutefois, ce mécanisme comporte de sérieuses limites, tandis que le projet de Système européen d’assurance des dépôts (SEAD), censé garantir les dépôts bancaires des épargnants européens, n’est toujours pas adopté, du fait que plusieurs Etats membres refusent l’idée d’une mutualisation européenne des risques.

En matière de transparence fiscale, la principale avancée consiste à mettre en oeuvre un mécanisme d’échange automatique des informations fiscales des particuliers, qui devrait être opérationnel en 2019 dans une centaine de pays. L’Union européenne a également adopté une directive anti-blanchiment imposant notamment l’instauration d’un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés offshore. Toutefois, ces mesures devraient idéalement être généralisées à l’échelle mondiale, tandis que les progrès ont été beaucoup plus limités en matière de lutte contre l’évasion fiscale des firmes transnationales, du fait que les gouvernements continuent de privilégier la défense des intérêts de leurs champions nationaux plutôt que la coopération multilatérale. La compétition fiscale pour attirer les investissements étrangers s’est en outre accélérée, entraînant une baisse continue des niveaux d’impôts des sociétés – à un tel point qu’à ce rythme, le taux moyen mondial de l’ISOC atteindra 0% en 2052. Enfin, le projet de taxation des transactions financières internationales n’a toujours pas été concrétisé et seule une taxe minimaliste est encore envisagée par certains Etats membres de l’Union européenne.

En définitive, malgré de réels progrès en matière de fonds propres des banques et de transparence fiscale, la régulation de la finance mondiale reste inachevée. Or les déséquilibres financiers et les risques systémiques réapparaissent au sein de l’économie mondiale. La bulle de crédits en Chine, le resserrement des taux d’intérêt aux Etats-Unis, les crises financières dans les pays émergents et la fragilité du système bancaire européen sont autant de raisons de s’inquiéter. Non seulement une nouvelle crise financière mondiale pourrait survenir à terme, mais son ampleur pourrait en outre s’avérer pire qu’en 2008, car les risques concernent désormais les banques, les Etats et les banques centrales des différents pôles de l’économie mondiale, alors qu’ils restaient largement concentrés au sein du système bancaire transatlantique avant 2008.

C’est pourquoi il est nécessaire de prendre des mesures plus ambitieuses pour réguler la finance mondiale et la ramener au service du développement durable. En matière de régulation bancaire, cela implique notamment d’imposer aux banques des ratios de fonds propres suffisants, de scinder les activités de dépôts et d’affaires, de réglementer les acteurs de la finance de l’ombre et de finaliser l’Union bancaire européenne.

En matière de transparence fiscale, cela implique de mettre définitivement fin au secret bancaire en élargissant à l’échelle mondiale le système d’échange automatique des informations fiscales et le registre sur les bénéficiaires des sociétés offshore. Cela nécessite également d’adopter un taux d’ISOC minimum, d’instaurer une taxe sur les transactions financières internationales et d’imposer aux firmes transnationales la publication annuelle d’un rapport détaillant leurs activités pays par pays, afin d’empêcher les entreprises de déclarer artificiellement des profits dans des paradis fiscaux et de permettre aux Etats d’imposer une taxation unitaire de chaque groupe multinational en fonction des activités effectivement réalisées par le groupe dans les différents pays où il est implanté.

En conclusion, la récente embellie de la conjoncture économique internationale ne doit pas masquer le retour des risques systémiques. Plutôt que privilégier l’autorégulation, les gouvernements devraient coopérer pour enrayer les déséquilibres et stabiliser le système financier international. A défaut, ils ne feront que préparer la prochaine crise.

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