Gérald Papy

« La leçon de Poutine en Syrie »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Un tir de la défense antiaérienne syrienne fatal aux quinze occupants d’un avion russe de reconnaissance sur fond de confrontation avec l’aviation israélienne a rappelé au monde, le lundi 17 septembre, que la Syrie est un terreau fertile pour un conflit plus étendu et plus dévastateur encore que celui qui a déjà tragiquement endeuillé la population syrienne depuis sept ans et demi.

La Syrie flirte donc toujours entre descente aux enfers – l’incident questionne Israël sur sa légitimité à superposer, pour ses seuls intérêts, une guerre au chaos existant – et pacification au forceps. Car une vraie bonne nouvelle a dans le même temps repoussé l’imminence de la fameuse bataille d’Idlib.

En s’accordant avec son homologue turc sur l’instauration, à partir du 15 octobre prochain, d’une zone démilitarisée entre le front gouvernemental et le sanctuaire des djihadistes les plus radicaux présents dans l’enclave du nord-ouest de la Syrie, le président russe Vladimir Poutine a engrangé un succès diplomatique et coupé l’herbe sous le pied à ses détracteurs occidentaux qui, face à l’offensive impitoyable et la catastrophe humanitaire annoncées, ne se seraient pas gênés pour fustiger l’impéritie russe. Toutes les menaces sur le sort des habitants de la région d’Idlib sont loin d’être levées. A tout le moins, du temps est accordé à Recep Tayyip Erdogan pour y neutraliser ou en exfiltrer les extrémistes de Daech. Un préalable s’il veut prétendre conserver un droit de regard sur ce territoire stratégique parce que frontalier.

Le maître du Kremlin peut se targuer, dans sa campagne de Syrie, d’un quasi-sans-faute à faire pâlir les stratèges du Pentagone.

Ainsi le maître du Kremlin peut-il se targuer, dans sa campagne de Syrie, d’un quasi-sans-faute à faire pâlir les stratèges du Pentagone. Vladimir Poutine a réussi à conforter un Bachar al-Assad chancelant sur son siège de président, même s’il n’a pas pu empêcher ses crimes de guerre. Il a remporté la bataille militaire contre les rebelles  » modérés  » et leurs soutiens occidentaux, et a contribué à effacer de la carte la portion syrienne du califat de Daech. Il a évité de donner des motifs de récrimination à ses opposants en limitant les pertes humaines au sein de ses troupes. Et il n’est même pas sûr qu’une non-ingérence aurait épargné des vies syriennes. Il a imposé son leadership au nord du Moyen-Orient (Syrie, Irak, Iran) et son statut d’interlocuteur incontournable ailleurs. Il y a gagné en influence diplomatique et idéologique face à ses impuissants rivaux américains et européens.

Avec l’accord russo-turc sur Idlib, Vladimir Poutine pose peut-être le premier jalon, fragile, de la gestion de l’après-guerre, qui – les Américains et les Européens en ont fait la pénible expérience en Irak ou en Libye – est généralement plus délicate à mener à bien que les efforts nécessaires à un succès militaire. Les écueils auxquels il sera désormais confronté émaneront de ses alliés et partenaires. Serait-elle finalement menée, la bataille d’Idlib de reconquête par Damas de son territoire ne serait qu’un leurre. Les Turcs occupent des zones du nord-ouest de la Syrie. Les Kurdes syriens vivent en quasi autonomie dans le nord-est. Et Bachar al-Assad n’est définitivement plus le chef d’Etat en mesure de symboliser et forger l’unité du pays. Il ne serait pas incohérent que Vladimir-Poutine-le-stratège cogite un plan pour y remédier.

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