François-Xavier Druet

La déferlante des écrits vains (carte blanche)

François-Xavier Druet Docteur en Philosophie et Lettres

Par les temps qui courent, (presque) chacun a son mot à dire. Et le plus souvent, il le dit ou il l’écrit. Les canaux multipliés assurent une grande diversité des supports. Mais les fondamentaux demeurent : des lettres, des mots, des lignes, des pages, des papiers – même s’ils ne consomment pas de papier -, des articles… La filière est respectée sur toute la ligne. Encore faut-il que ces moyens servent un rédacteur qui ne se paye pas de mots, qui soit, si possible, à la page et qui ait une ligne de conduite. Ce profil idéal s’est raréfié.

Dans la profusion actuelle, fatalement, nombre d’écrits auraient gagné à rester lettre morte. Ce n’est pas toujours simple de déterminer lesquels. (Presque) chaque jour, nous découvrons des « auteurs » qui n’ont pas toujours trouvé l’astuce de choisir le papier de circonstance. Au hasard et sans prétention, voici quelques suggestions qui pourraient rendre service.

Un politicien aurait pu racoler les voix sur papier ministre ou sur du papier à dess(e)in, un cuisinier donner ses conseils sur papier pelure ou cuisson, un médecin faire de la prévention sur du papier à cigarettes, un plagiaire créer l’illusion sur du papier calque ou carbone, un épidémiologiste définir des mesures barrières sur du papier hygiénique. Le matériau s’associerait à la matière, ce qui donnerait au texte un caractère à la fois concret et utile. Le lecteur ne le confierait pas à la corbeille à papiers ni n’en ferait une cocotte. Il y verrait peut-être un papier cadeau.

Bien sûr le journaliste, lui, s’en tiendrait au papier journal, le sot au papier timbré, l’enseignant au papier recyclé, le vitrier au papier de verre, le nanti au papier doré, le casse-pied au papier collant, le malpropre au papier d’Arménie. Tout serait simplifié pour le destinataire qui saurait d’emblée à qui il a affaire.

Néanmoins le support ne suffit pas à justifier l’intérêt du contenu. Reconnaissons que chacun de nous est libre de ses critères quand il s’agit d’apprécier l’attrait, l’originalité et le poids d’un article. Les auteurs font nécessairement l’article pour leur propre secteur, qu’il s’agisse d’un article de toilette, de voyage, de bureau, de pêche, de luxe, d’un article pour fumeurs ou d’un article de fond. Tous les genres trouveront leurs admirateurs et leurs détracteurs. Mais qui, surtout s’il est féru de grammaire, ne préférera pas un article défini à un indéfini, un article contracté plutôt que partitif ?

Toujours est-il qu’il ne suffit pas d’accumuler des lignes pour rédiger un texte. Un peu de personnalité ne peut pas nuire. Les papiers d’identité triomphent de l’impersonnel. Nous lisons volontiers quelqu’un qui n’hésite pas à faire bouger les lignes, sans pour autant franchir la ligne blanche, un pilote de ligne, qui choisit une ligne, la garde, mais la transforme parfois en ligne de démarcation. Une ligne brisée ou une ligne à grande vitesse ne valent peut-être pas une ligne de force, une ligne d’horizon ni une ligne d’arrivée. L’écrivain qui joue avec la pureté des lignes se gagne une ligne de chance auprès de l’éditeur et une ligne de crédit auprès du lecteur. Et celui-ci se sent dynamisé si, en plus, il parvient à lire entre les lignes. Il hésite à tourner la page où il a son mot à dire.

Il la tourne par contre résolument quand il détecte que tous se sont donné le mot pour adopter une version standardisée. Il n’aime pas non plus que l’auteur cherche désespérément ses mots ou emploie un mot pour un autre. Ballotté par une logorrhée verbale, le pauvre lecteur-auditeur-spectateur a l’impression de ne pas pouvoir placer un mot ; il fuit la tempête sans souffler mot. Plutôt que de s’autoriser les gros mots, celui qui s’exprime n’a-t-il pas avantage à parler à demi-mot, voire à mots couverts ? À susciter la participation active de l’interlocuteur par un mot d’esprit ou à double sens ?

Communiquer, n’est-ce pas dialoguer à mots croisés plutôt que d’assener des mots fléchés ? N’ayons pas peur des mots. À force de noircir du papier, de prétendre avoir le fin mot de l’histoire et de vouloir à tout prix avoir le dernier mot, les trop beaux parleurs – et scripteurs – nous détachent d’eux et de leur sujet. Ils ont cru démontrer. Ils ont surtout démonté et cassé le mécanisme de connexion.

Le présent propos échappe-t-il à ce travers ? Au moins s’efforce-t-il de tendre la perche pour observer une fois encore la richesse inexhaustible des expressions offertes par la langue française, à condition de ne pas les prendre au pied de la lettre et de percevoir ce qui propre au figuré. Bien traitée, la langue parle d’elle-même, sans nécessité d’y ajouter un traître mot.

François-Xavier Druet, Docteur en Philosophie et Lettres

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