Philippe Lamberts

La crise financière fête ses dix ans: l’immobilisme aussi

Philippe Lamberts Co-Président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen

Qui de la vertu ou du cynisme a triomphé, dix ans après la crise financière ? Le second, assurément. Pourtant, rien ne laissait présager une telle issue.

En effet, au lendemain de la crise, alors que gisaient encore sur la place financière les dépouilles de Lehman Brothers, Fortis, Dexia & Cie, l’heure était résolument à l’introspection. Le capitalisme financier avait failli, et tout devait être mis en oeuvre pour le refonder, en le « moralisant ».

Et tant pis si cela impliquait un virage idéologique à 180 degrés : la survie politique de nos décideurs en dépendait.

Dans cet exercice périlleux de retournage de veste, le champion toutes catégories est à l’époque sans conteste le Président français Nicolas Sarlozy. Au gré de ses discours, le tribun fustige « le triomphe de l’économie de rente, la spéculation », et assène des sentences péremptoires que ne renierait pas aujourd’hui un Français insoumis : « l’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini ».

Face à cette surenchère révolutionnaire, son rival François Hollande n’a d’autre choix que de monter la barre encore d’un cran : désormais, l’ennemi public numéro un sera… la finance !

Usine à gaz législative

De quoi cette montagne de discours incantatoires a-t-elle accouché? D’un énorme mammouth, mais en peluche.

Des dizaines de textes législatifs ont été adoptés au niveau européen pour mieux réguler les banques, lutter contre les paradis fiscaux, régler le problème de conflit d’intérêts des agences de notation, encadrer le marché des produits financiers à risque (dits « produits dérivés »), limiter le trading à haute fréquence (i.e. transactions boursières automatisées), ou encore s’attaquer à la spéculation alimentaire.

Mais dans la grande majorité des cas, les mesures entérinées ont été affaiblies à coup d’exemptions, de pondérations ou d’échappatoires directement intégrés dans les législations européennes. Et lorsque cela n’était pas suffisant, leur portée a été réduite via l’adoption ultérieure de normes techniques d’exécution.

Au fil des années, la législation bancaire et financière s’est donc transformée en une immense usine à gaz.

Rien n’empêchait pourtant les décideurs politiques de faire le choix de la simplicité, en interdisant les produits financiers dangereux ou en contraignant les plus grandes banques à séparer leurs activités de marché risquées de leurs activités de prêts à la clientèle. Or, ces derniers ont délibérément opté pour la complexité : une approche qui permet toujours au diable de se loger dans les détails.

Bilan insuffisant

Un bref aperçu de l’état actuel du secteur bancaire européen permet de mesurer la portée des régulations mises en oeuvre jusqu’à présent. Premier constat : même si les banques européennes sont aujourd’hui dotées d’un niveau de fonds propres plus élevé qu’avant la crise, celui-ci n’en demeure pas moins insuffisant pour absorber le niveau de pertes enregistré en 2008. Cela est d’autant plus navrant que, dans bien des cas, les grandes banques ont préféré distribuer une large part de leurs bénéfices sous la forme de bonus et de dividendes plutôt que de les affecter au renforcement de leurs fonds propres.

Il est encore plus préoccupant de constater qu’à l’heure actuelle, treize banques européennes sont encore identifiées comme d’importance systémique mondiale : c’est-à-dire qu’en raison de leur taille démesurée et de leur interconnexion entre elles, elles sont susceptibles de faire vaciller l’ensemble du système financier en cas de difficultés. Grâce à leur statut de banque « trop grande pour faire faillite », celles-ci peuvent s’autoriser à prendre des risques inconsidérés, dans la mesure où les États seront toujours forcés de leur venir en aide si nécessaire. Pas étonnant dès lors si, dix ans après, une part importante des activités des banques systémiques européennes soit encore de nature spéculative. Trois d’entre elles (BNP Paribas, ING, et Deutsche Bank) ont renforcé leur présence sur le marché belge depuis la crise. Ce qui, non seulement, pose un réel problème pour la stabilité de notre système bancaire, mais entraîne également une concurrence déloyale vis-à-vis des banques de petite et moyenne taille, souvent plus capitalisées par ailleurs.

Opportunisme irresponsable

Dix ans après, la crise n’a pas provoqué l’électrochoc espéré parmi les décideurs politiques. Les fissures apparues dans le bloc de la pensée unique ont rapidement été colmatées, laissant le chant des « réformes structurelles » reprendre de plus belle : flexibilisation du marché du travail, privatisation des services publics, consolidation des rentes de situation, baisse d’impôts pour les entreprises et les hauts revenus etc.

Face à l’indignation suscitée par le sauvetage des banques, les gouvernements européens ont fait le choix du cynisme : en retournant la colère citoyenne contre les migrants, les plus vulnérables d’entre tous.

En soufflant sur les braises du populisme, ils ont relancé un feu qui pourrait rapidement devenir incontrôlable et replonger l’Europe dans ses heures les plus sombres.

Il n’est cependant pas trop tard. Mais pour ceux qui, au sein et en dehors des assemblées parlementaires, militent pour une Europe démocratique, écologique et solidaire, il faudra redoubler d’efforts pour bouleverser ce statu quo délétère.

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