Arnaud Zacharie

La crise de 2020 n’est pas une réplique de 2008

Arnaud Zacharie Secrétaire général du CNCD-11.11.11

La crise financière mondiale déclenchée par le coronavirus n’est pas une simple réplique de la crise de 2008. Son ampleur pourrait toutefois être plus grave, surtout si les gouvernements ne sortent pas des sentiers battus et répètent les erreurs du passé.

La pandémie du coronavirus provoque une grave crise économique et financière qui n’est pas sans rappeler la crise mondiale de 2008. L’effondrement des cours boursiers, l’endettement insoutenable du secteur privé, la spéculation sur la dette souveraine des Etats vulnérables, l’injection massive de liquidités par les banques centrales et les coûteux plans de sauvetage concoctés dans l’urgence par les Etats ont un air de déjà-vu.

Un double choc

La crise de 2020 ne peut toutefois pas être assimilée à une simple réplique de la crise de 2008. Alors qu’en 2008, c’est une crise financière qui avait brutalement frappé l’économie réelle, c’est cette fois l’effondrement de l’économie réelle qui provoque une crise financière. Les mesures de confinement imposées par les gouvernements pour empêcher la diffusion du virus empêchent les entreprises de fonctionner et les employés de travailler. Ce n’est donc plus l’éclatement d’une bulle immobilière débouchant sur une crise bancaire, comme en 2008, mais un double choc d’offre et de demande découlant de l’effondrement de la production et de la consommation qui est à l’origine de la crise financière actuelle.

Cette singularité amène certains analystes à entretenir l’espoir d’un vigoureux rebond de l’économie qui serait automatiquement généré par la fin de la pandémie du Covid-19. Il s’agirait donc d’une crise brutale mais de courte durée, appelée à disparaître dès que le coronavirus aura disparu. Un tel scénario n’est toutefois nullement garanti. Non seulement cela implique de rapidement venir à bout de la pandémie, mais la singularité de la crise actuelle laisse par ailleurs craindre des effets durablement négatifs sur l’économie. Le choc est en effet d’une rare violence, puisque nombre d’entreprises sont contraintes de stopper purement et simplement leurs activités, ce qui entraîne immanquablement un effondrement économique qui risque de provoquer un chômage de masse et une récession bien plus profonde que la Grande Récession de 2009.

Le choc économique provoqué par le coronavirus, qui n’épargne aucune région du monde, survient en outre dans un contexte de déséquilibres financiers et de risques systémiques grandissants. Il est donc susceptible de précipiter des chocs financiers qui n’attendaient qu’un élément déclencheur pour se révéler. Certes, les mesures prises après la crise de 2008 ont permis de résorber certains déséquilibres, mais d’autres risques sont simultanément apparus. Les Etats et les banques centrales ont en outre utilisé beaucoup de cartouches pour tenter de stabiliser l’économie mondiale depuis 2008, avec pour effet d’augmenter considérablement l’endettement public et les bilans des banques centrales.

Eviter l’effet domino

Le risque est que le choc économique provoque un effet domino débouchant sur une crise auto-entretenue et plus longue qu’espérée. Les entreprises fortement endettées et faisant face à une chute subite de leurs revenus risquent de faire faillite. Ces faillites en chaîne risquent à leur tour de créer des problèmes aux banques accumulant des mauvaises créances impossibles à rembourser. A leur tour les Etats, contraints d’intervenir pour enrayer la crise, peuvent faire face à des problèmes budgétaires, particulièrement dans la zone euro où les Etats membres ne peuvent pas forcer la BCE à leur venir en aide en cas de besoin. Eviter un tel cercle vicieux, qui rappelle les mauvais souvenirs de 2008, implique de prendre les mesures adaptées à la singularité de la crise actuelle.

Outre les traditionnelles injections massives de liquidités par les banques centrales pour éviter l’effondrement des systèmes financiers, l’urgence à court terme consiste pour les Etats à compenser les pertes de revenus des entreprises et des travailleurs affectés par les mesures de confinement. Une telle mesure, conditionnée à l’interdiction de licencier, vise à éviter que des faillites et des licenciements en chaîne ne provoquent une récession aussi profonde que durable. Elle permet de soutenir la demande de manière ciblée durant la période de confinement et de garantir aux entreprises de rester en vie et de conserver leurs salariés, afin d’être en mesure de reprendre rapidement leurs activités dès la levée du confinement.

Evidemment, l’efficacité de cette mise sous perfusion temporaire de l’économie dépend de la capacité des gouvernements à enrayer la pandémie suffisamment rapidement, sans quoi son coût budgétaire pourrait s’avérer insoutenable. Tant que cette étape n’a pas été franchie, les politiques de relance budgétaire et monétaire n’ont aucun intérêt, puisque cela équivaudrait à stimuler une économie condamnée au confinement. Par contre, elles seront nécessaires une fois la pandémie jugulée. Cette seconde phase devra non seulement viser à relancer l’économie mondiale, mais aussi à en corriger les déséquilibres et à en renforcer la résilience.

La crise représente en effet une opportunité historique de financer la transition écologique et sociale en orientant les investissements vers le développement des énergies renouvelables, de la mobilité durable, de l’économie circulaire et relocalisée, de l’agro-écologie, de la santé publique et plus généralement vers les secteurs et les paradigmes économiques durables et résilients. Parallèlement, le soutien aux secteurs les plus affectés par la crise, comme les secteurs de l’énergie et du transport, devraient être conditionnés à des critères de durabilité. En Europe, la concrétisation du projet de Green Deal permettrait de rendre les décisions de relance à court terme cohérentes avec les objectifs de transformation des économies à plus long terme. Plus généralement, il s’agit de faire de la crise mondiale une opportunité de financer un Green New Deal planétaire. A défaut, des milliers de milliards d’euros seront dépensés pour restaurer une économie insoutenable.

Sortir des sentiers battus

La question du financement de ces plans de soutien est évidemment cruciale. Une leçon majeure à tirer de la crise de 2008 est que des plans de sauvetage suivis de politiques d’austérité ont des effets récessifs contre-productifs. C’est pourquoi il faudra non seulement privilégier la justice fiscale à l’austérité pour équilibrer les comptes publics, mais aussi adopter des modes de financement novateurs permettant de rapidement soulager les Etats et de soutenir les ménages et les entreprises.

En Europe, les tabous du pacte de stabilité et de l’équilibre budgétaire allemand sont tombés, mais d’autres restent tenaces. Neuf Etats membres ont proposé un endettement collectif via des euro-obligations, qui garantirait des taux d’emprunts identiques et éviterait des écarts de taux au détriment des Etats les plus vulnérables, comme l’Italie ou l’Espagne. Mais les Pays-Bas et l’Allemagne continuent de refuser une telle mutualisation des risques, privilégiant le Mécanisme européen de stabilité conditionné à des politiques d’austérité. La BCE pourrait par ailleurs financer directement les déficits budgétaires des Etats membres durant la crise, afin de leur épargner de nouvelles dettes. Au minimum, elle devrait garantir que les écarts de taux ne dépassent pas un seuil défini durant la crise, sans limite d’achats de titres des pays en difficulté. La BCE pourrait également effacer une partie des dettes publiques détenues par les banques centrales nationales, via la technique de la « broyeuse à billets ». Elle pourrait en outre, dans un second temps, soutenir la relance budgétaire par l’émission de « monnaie hélicoptère » directement versée aux ménages et aux PME. Autant de mesures qui nécessitent de sortir de l’orthodoxie monétaire, mais la situation exceptionnelle impose de sortir des sentiers battus. A défaut, le spectre de l’éclatement de la zone euro pourrait rapidement ressurgir.

Les pays en développement nécessitent en outre un soutien spécifique. Les pays émergents, qui ont fait face ces dernières semaines à la plus importante fuite des capitaux de leur histoire (plus de 80 milliards de dollars) et connaissent d’importants problèmes de liquidités, pourraient bénéficier de l’émission de 500 milliards de dollars de Droits de tirage spéciaux (l’instrument monétaire permettant au FMI de compléter les réserve de change de ses Etats membres). Les pays les moins avancés, dont près de la moitié était en situation de risque élevé de surendettement avant la crise, ont non seulement besoin du soutien des agences de développement, mais aussi d’annulations de dettes.

Plus généralement, la pandémie du Covid-19 et la crise économique et financière sont des défis globaux qui nécessitent des réponses coordonnées à l’échelle multilatérale. Or la coopération internationale a jusqu’ici fait largement défaut. Certes, le G20 a annoncé un plan de 4 800 milliards de dollars, mais il ne suffira pas d’additionner les montants d’initiatives nationales désordonnées pour éviter une crise dévastatrice. Quant à l’UE, elle continue d’étaler ses divisions. La crise de 2020 n’est pas une réplique de 2008, mais si les gouvernements ne prennent pas les mesures qui s’imposent, ses conséquences pourraient s’avérer plus graves que présumé.

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