Eugenie D'Hooghe

« La cause des femmes au Moyen-Orient progresse, quoi qu’on en dise en Occident »

Eugenie D'Hooghe Politologue active auprès de l'ONG Relief and Reconciliation for Syria

« La cause des femmes arabes gagne du terrain au Moyen-Orient, même si cela va souvent à l’encontre de notre perception occidentale », déclare la politologue Eugenie D’Hooghe.

Les révoltes arabes, qui ont commencé en Tunisie en 2011, ont fait rage dans toute la région. Mais on n’a peu débattu de la femme alors qu’elle y occupait une place considérable. Les soulèvements ont, en un sens, donné aux femmes l’occasion de s’engager politiquement et d’élever la voix. Depuis, les femmes arabes sont plus actives dans les manifestations, les occupations, les blogs, les forums en ligne, les partis politiques et les organisations (internationales). Ce sont souvent les femmes qui créent des mécanismes de paix et assument de nouveaux rôles économiques.

En 2018, le Forum économique mondial constatait qu’une start-up sur trois était fondée par une femme dans le monde arabe. C’est un pourcentage plus élevé que dans la Silicon Valley, à San Francisco. Ces dix dernières années, les femmes saoudiennes se sont de plus en plus battues contre la hiérarchie du pouvoir. Peu à peu, cela porte ses fruits, avec notamment la mise en place du droit de vote des femmes en 2011, l’accession à des postes de direction dans les grandes entreprises et l’autorisation faite aux femmes de conduire.

Récemment, la Tunisie, le Liban et la Jordanie ont abrogé des lois discriminatoires qui octroient l’impunité aux violeurs qui épousent leur victime. En outre, les Émirats arabes unis, comme l’Égypte, ont adopté une nouvelle législation permettant aux femmes de jouir des mêmes droits et chances que leurs compatriotes masculins. D’une manière générale, des progrès positifs ont été accomplis, en particulier en ce qui concerne le rôle de plus en plus important des femmes arabes.

Les suites de l’impérialisme européen

Le Moyen-Orient a été formé pendant la Première Guerre mondiale par le colonel britannique Sir Mark Sykes et le diplomate français François Georges-Picot avec le traité tacite Sykes-Picot de 1916. Nulle part dans le monde, les frontières entre les États n’ont été dessinées aussi artificiellement par l’homme. En conséquence, ces frontières sont toujours remises en question. Les conséquences du jeu de pouvoir européen n’ont pas seulement un impact sur ces frontières, mais aussi sur la construction sociale de la femme arabo-musulmane.

Depuis la montée inexorable du populisme de droite, de l’extrémisme et de l’islamophobie, il y a de plus en plus de préjugés et de stéréotypes sur les femmes islamiques. Ces derniers s’accompagnent de discrimination et d’exclusion sociale dans la société occidentale. C’est souvent dû à l’ignorance ou « naming and shaming ». Dans notre société, on ne se rend pas suffisamment compte à quel point notre perspective européanisée étouffe la femme musulmane.

Dans les médias occidentaux, la femme arabe est trop souvent présentée comme une victime. Elle est dépeinte comme impuissante et opprimée, car elle est contrôlée par un homme.

La lutte contre les idées reçues orientalistes

Pour contrebalancer cette tendance, la femme musulmane utilise de plus en plus différents canaux pour exprimer son identité. Mona Haydar, d’origine syrienne, est une activiste et chanteuse contemporaine. Son succès le plus connu est Wrap my hijab, qui va à l’encontre de la vision impérialiste du féminisme occidental. À travers sa musique rap, elle brise les stéréotypes orientalistes et dénonce les mauvais traitements infligés aux femmes dans le monde. En 2016, Haydar s’est enfuie aux États-Unis. En raison des nombreux stéréotypes auxquels elle s’est heurtée, elle a mis sur pied le projet Ask a Muslim. Dans le cadre d’un dialogue interculturel, elle répond à des questions pressantes sur l’Islam et les femmes.

Haydar n’est pas la seule artiste à lutter contre les idées reçues sur les Arabes. Le vidéoclip Roman du célèbre groupe alternatif libanais Mashrou Leila , est une ode à la diversité des femmes dans le monde arabe. Il critique vivement les perceptions erronées des Occidentaux à l’égard de la « femme arabe opprimée », de l’homophobie et de l’islamophobie. Le groupe le décrit comme suit : « La vidéo met le récit dominant du féminisme hypersécularisé (blanc) en cause, car elle se positionne comme incompatible avec l’Islam et le monde arabe. » Ce mouvement vise à exposer les différentes facettes du Moyen-Orient.

L’égalité entre les femmes et les hommes : un objectif mondial durable

Ne vous méprenez pas. Je ne suis pas aveugle aux défis auxquels sont encore confrontées les femmes au Moyen-Orient. Je pense à la sous-représentation dans la sphère politique, les répercussions du droit de la famille ou les abus sexuels physiques/psychologiques, etc. Néanmoins, comme dans le reste du monde, l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes doivent rester un objectif central. C’est pourquoi les Nations Unies placent ces dispositions spécifiques dans les Objectifs de développement durable pour 2030 (ODD). Cela a été imposé à l’ensemble des 193 États membres concernés en 2015.

En Belgique aussi, les femmes se heurtent encore au plafond de verre dans les secteurs privé et public. Il existe un obstacle invisible qui fait en sorte que les femmes ne sont pas nommées à certains postes importants. Il y a donc encore du pain sur la planche ici, tout comme au Moyen-Orient, où la situation va dans le bon sens pour les femmes, quoi qu’on en dise en Occident.

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