Carte blanche

L’utilisation des données personnelles : un danger pour notre démocratie

Le scandale Cambridge Analytica fait froid dans le dos. Plus de 87 millions d’utilisateurs de Facebook, dont au moins 61 000 Belges, ont eu leurs données personnelles siphonnées par une entreprise privée pour la campagne de Donald Trump.

Si l’idée de devenir du gibier électoral peut faire peur, nos données personnelles ont également été exploitées par des personnes plus consensuelles comme Barack Obama ou Emmanuel Macron. En Belgique, nos partis entrent peu à peu dans la danse.

Le principe est simple. À l’aide d’entreprises spécialisées en Big Data, des données sont collectées. Ensuite, les partis utilisent ces données pour nous adresser des messages personnalisés les plus susceptibles de nous intéresser. En d’autres termes, nous sommes l’objet d’un marketing ciblé. Comme une marque de sodas nous envoie des messages différents que l’on soit jeune ou vieux, homme ou femme, les équipes de communication politique veulent viser des catégories précises de la population. Choisir dans l’isoloir ou choisir au supermarché : même combat.

Déjà en 2014, le PS avait utilisé l’application Pops de LMP pour optimiser ses campagnes de porte-à-porte. Plus récemment, en novembre 2017, le PTB, aidé par Nation Builder, a lancé sa « grande enquête » où on communique, à la fin d’une enquête assez banale, notre code postal, notre niveau d’étude et nos préférences électorales. Le MR vient quant à lui de s’associer avec DigitaleBox qui permet de « mener une campagne orientée par les données ».

Ces pratiques peuvent sembler anodines, mais la philosophe Antoinette Rouvroy nous met en garde. L’utilisation abusive des données personnelles nous fait entrer dans l’ère de la « gouvernementalité algorithmique », la gouvernance par les nombres. Les citoyens sont désormais réduits à une série de données auxquels les politiques sont appelés à donner des réponses hyper-personnalisées. Alors que le politique est censé proposer un projet pour l’ensemble de la société, la gouvernementalité algorithmique réduit tout à des micro-mesures déconnectées les unes des autres. Antoinette Rouvroy insiste en disant que cette vision renforce le statu quo et retire à la politique sa capacité de changer la société.

Ce marketing politique est d’autant plus dangereux qu’il isole les individus et les confine dans des cases. Si ce ciblage électoral continue à se répandre, il est tout à fait envisageable qu’une jeune femme vivant en ville ne soit jamais en contact avec les idées politiques concernant la Défense ou l’Agriculture. Il peut, sans doute, en être de même pour un indépendant rural de 60 ans vis-à-vis des questions de lutte contre la pauvreté. Or, selon Jürgen Habermas, le propre de la démocratie est la délibération collective. Comment faire vivre l’idéal démocratique si les citoyens ne se parlent plus entre eux ?

Tout ce qui vient d’être décrit est légal. Mais les scandales de ces dernières années nous montrent bien que légalité ne rime pas toujours avec éthique. Renoncer à l’utilisation des données personnelles pour les campagnes politiques n’est pas facile. Cela revient à perdre un puissant outil de campagne. Néanmoins, il faut considérer nos citoyens comme des humains capables de penser le bien commun et non comme des amas de données. Il en va de notre débat politique, il en va de notre démocratie.

Hubert Deschamps – Etudiant en Humanités Numériques à Leuven

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