Gérald Papy

L’omerta a déserté les bars glauques pour investir des lieux plus huppés

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Jusqu’à il y a dix ans, l’usage du vocable omerta ne quittait que rarement le cadre des récits des méfaits du grand crime organisé. Il se limitait à sa première acception, « cette loi du silence que prétendent faire régner la mafia, la Camorra… et dont l’injonction première est de ne jamais révéler le nom de l’auteur d’un délit ».

Depuis, les mafieux ayant choisi d’initiative d’être moins démonstratifs ou y étant contraints par la répétition de séjours à l’ombre, l’omerta a déserté les bars glauques et a investi, bizarrement, des lieux a priori plus conviviaux, plus huppés, plus sanctuarisés, le monde du cinéma, une fédération sportive, un archevêché.

Dans le scandale Harvey Weinstein déclencheur du séisme #MeToo, à travers le dossier du prêtre pédocriminel Bernard Preynat à Lyon ou celui des viols à l’encontre de jeunes compétitrices de la Fédération française des sports de glace, les mêmes mécanismes ont opéré, ceux-là même auxquels étaient confrontés les juges et les enquêteurs antimafia. Le silence de l’entourage des acteurs ou même des victimes de ces prédations s’est imposé, alors qu’il aurait dû être proscrit, tantôt pour éviter de s’aliéner un producteur influent faiseur de stars, tantôt pour garantir la promesse d’une carrière sportive étoilée. Les tentatives d’étouffement des scandales ont suivi la préoccupation maladive de préserver la réputation d’une institution. Tout plutôt que d’en arriver à un déballage public. Tractations sournoises avec les accusateurs, minimisation des faits, sanctions de façade des auteurs, absence de remise en questions du fonctionnement passé… Le film Grâce à Dieu de François Ozon, sorti il y a un an, décrit magistralement les manoeuvres dilatoires mises en place par l’évêché de Lyon pour éviter la révélation au grand public d’un prêtre pédophile.

Cette omerta dans l’Eglise, Jean-Claude Bologne en expliquait les fondements dans son Histoire du scandale (Albin Michel, 304 p.) en 2018.  » La réputation d’une communauté religieuse peut ainsi être jugée plus importante que la punition publique du péché de l’un de ses membres. L’Eglise s’est longtemps enfermée dans cette logique, considérant que le scandale actif de prêtres pédophiles ne devait pas être dénoncé publiquement, car cela aurait entraîné un scandale passif : la défiance de la communauté vis-à-vis de ses pasteurs.  » L’Eglise a longtemps voulu éviter la justice au prix du déshonneur, elle a subi la sanction de la justice et le déshonneur d’avoir essayé de s’y soustraire. Même si la prise de conscience du mal indicible fait aux enfants est désormais opérée aux plus hauts échelons de la hiérarchie religieuse, il faudra beaucoup de temps pour que la défiance des citoyens face à l’institution s’atténue.

Les méfaits de quelques-uns, en nombre non négligeable tout de même, peuvent nuire durablement à une communauté de croyants qui en est finalement victime. Un autre événement parmi d’autres en France démontre que le phénomène vaut aussi pour l’islam. Réagissant aux menaces de mort adressées à l’adolescente lyonnaise Mila pour des propos fustigeant la religion musulmane, l’éditorialiste de l’hebdomadaire français Charlie Hebdo, Riss, s’est aussi emparé de l’analogie avec les pratiques de la mafia.  » L’islam radical […] fonctionne comme une mafia qui n’hésite pas à mettre des contrats sur la tête des insolents pour diffuser dans toute la société un climat de peur sur lequel prend appui sa toute-puissance. Personne ne doit rire, personne ne doit sourire « , a-t-il dénoncé. Les religions mériteraient d’être vues en meilleure compagnie que celles que l’actualité nous offre.

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