Asma Afsaruddin © DR

« L’islam n’est pas l’origine du problème, mais bien une partie de la solution »

Annelies Van Erp

Si les politiciens veulent contenir les extrémistes et les terroristes, ils vont devoir entamer le dialogue avec les leaders religieux. Parce que « la religion n’est pas l’origine du problème, mais bien une partie de la solution » selon la professeure de théologie islamique Asma Afsaruddin.

Près de 250 lettrés et académiciens musulmans se sont réunis la semaine dernière à Bruxelles pour débattre de la radicalisation et du terrorisme au nom de la religion.

Nous y avons rencontré Asma Afsaruddin, professeur du monde arabe et de l’islam. « De mon expérience, je sais qu’une meilleure connaissance permet de déconstruire les idées radicales. À cause de leur ignorance de la religion, les jeunes les plus fragiles tombent rapidement dans les pièges des extrémistes. Moi aussi, au cours de mes recherches, je suis tombée sur un grand nombre de contenus à tendance islamique radicale sur internet et je dois admettre que si j’avais 16 ans et que je ne connaissais rien à l’islam, je pourrais me laisser convaincre ».

Vous dites qu’il faut arrêter de qualifier les auteurs des attentats de jihadistes, mais plutôt comme de terroriste. Pourquoi ?

Asma Afsaruddin: « le jihad armé n’est qu’une forme du jihad islamique. Car en réalité « jihad » signifie « lutte ». On peut donc interpréter ce terme de façon beaucoup plus large. On peut par exemple lutter pour un monde meilleur ou pour plus de justice sociale. Hélas, en occident, le jihad est toujours associé à sa forme militaire. Lorsque nous traitons de jihadistes ceux qui commettent des actes sanglants, cela revient à reconnaître leur action. Alors que ces actes ne méritent aucune reconnaissance. Même la loi islamique considère cela comme du terrorisme. La lutte avec violence ne se justifie que lorsque l’on se défend et encore cela ne concerne que ceux qui portent des armes et on ne peut pas blesser des civils. Certainement pas des enfants, des femmes ou des personnes âgées.

Toutes des règles superbement ignorées par les terroristes. C’est pour cela que je trouve problématique que l’on continue à les désigner comme des jihadistes. C’est un terme dont ils aiment s’affubler. Si on le reprend à notre tour, on légitime en quelque sorte leurs actions. On fait de même lorsqu’on parle de l’Etat islamique. C’est pour cela que personnellement je parle systématiquement d’un « Etat islamique autoproclamé » pour bien marquer que personnellement je ne le reconnais pas.

Des groupes terroristes comme l’Etat islamique disent agir au nom de l’islam. Mais dans le fond à quel point sont-ils islamiques ?

Comme dans toutes les autres religions, la vie est sacrée dans l’islam. Les actions violentes de groupe comme l’Etat islamique, Boko Haram et al-Qaeda sont donc en opposition directe avec les règles éthiques de l’islam. Ce n’est pas uniquement mon avis, il existe un consensus sur le sujet parmi les intellectuels islamiques. Ces groupes n’ont pas le droit de se réclamer comme islamiques.

Et pourtant les deux sont très souvent liés, surtout en occident.

Le manque de connaissance est le plus gros problème. Les gens doivent être confrontés à une vision plus variée de l’islam. C’est pour cela qu’il est important d’organiser des conférences. Le grand public doit être conscientisé du fait que le monde musulman essaye de son côté et avec force de lutter contre les actes extrémistes.

En parallèle, on constate que l’enseignement joue un rôle primordial. Car c’est souvent par ignorance que les jeunes sont embarqués dans les pièges de l’extrémisme. Je suis tombée sur un grand nombre de contenus à tendance islamique radicale. Et je dois admettre que, si j’avais 16 ans et que je ne connaissais rien à l’islam, je pourrais aussi être convaincue.

De mon expérience de professeur, je peux vous affirmer qu’informer peut faire la différence et changer la vision du monde. Simplement en montrant la diversité au sein du monde musulman aujourd’hui et à travers son histoire. Cela réduit la possibilité de voir quelqu’un séduit par les théories extrêmes.

Ce n’est justement pas un effet dangereux du coran que l’on puisse l’interpréter de différentes façons ?

Non, je dirais même que c’est le contraire puisque c’est plus un enrichissement qu’une faiblesse.

© AFP

Est-ce que les femmes ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre l’extrémisme ?

Je ne trouve pas utile de faire une distinction entre les hommes et les femmes. Tous les deux doivent jouer un rôle. Les parents doivent jouer un rôle. Ils doivent transmettre à leurs enfants un héritage culturel qui les armera davantage contre les discours de propagandes. Ce qui n’empêche pas que l’on devrait faciliter l’accès aux études pour les femmes. Surtout dans les pays pauvres où ont privilégié encore trop l’éducation des garçons.

Est-ce que la réaction du monde musulman ne vient pas un peu tard ?

Non, il est faux de dire que la voix des musulmans ne s’exprime pas avec assez de force. C’est juste que leurs propos ne sont pas repris par les médias occidentaux. C’est là que se trouve le problème. Car l’extrémiste a plus à voir avec la politique qu’avec la religion. La radicalisation est une réaction à des problèmes politiques et ne trouve pas ses bases dans la foi. Ceux qui nous gouvernent et les faiseurs d’opinions ne se focalisent pas assez sur les vraies causes de l’extrémisme violent.

Et quelles sont-elles selon vous ?

Regarder en Irak, où la violence sectaire ne cesse d’enfler. Cette violence n’a pas démarré à partir d’un conflit religieux, mais sur des bases politiques. La même chose en Israël et en Palestine où les causes sont avant tout géopolitiques.

Les inégalités sont aussi de plus en plus flagrantes ce qui fournit un terreau de choix à l’extrémisme. Le fait que les groupes terroristes proposent de les rejoindre pour mettre fin à ces inégalités peut paraître très tentant à de nombreux jeunes.

Il n’ y a pas si longtemps, les leaders religieux étaient exclus des discussions politiques. Mais nous devrions au contraire les inviter à participer.

La religion n’est pas la cause, mais bien une partie de la solution. Tout le monde doit coopérer. Les politiciens doivent engager le dialogue avec les leaders religieux et les activistes de la base. Pour que l’on puisse mettre en exergue les interactions qui existe entre les textes religieux, la réalité socioéconomique et le contexte culturel qui mène à l’extrémisme et à la violence.

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