Philippe Maystadt

« L’innovation est au coeur de la transition énergétique »

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Le monde de l’entreprise semble encore trop suivre le « modèle de défense de positions acquises », en ne mettant pas assez l’accent sur la créativité et l’innovation, alors que ses stratégies pourraient être résolument plus offensives, notamment envers les marchés très porteurs d’avenir, comme celui de la transition énergétique.

Philippe de Woot nous a quittés la semaine dernière. Tant dans ses livres que dans ses interventions à l’Académie royale de Belgique, il mettait souvent l’accent sur le rôle prométhéen de l’entreprise : créativité et innovation. Il avait évidemment raison : la capacité d’innovation est le principal levier de la compétitivité. Pourtant, les stratégies industrielles sont encore trop souvent conçues comme défensives des positions acquises alors qu’elles devraient être offensives et axées sur les marchés dont nous savons qu’ils vont se développer à l’avenir.

L’innovation, c’est tout ce qui nous permet de devenir des utilisateurs plus intelligents d’un système plus performant

C’est certainement le cas des marchés des équipements et services liés à la transition vers une économie bas carbone. Rien que pour l’électricité, les besoins d’investissements dans l’Union européenne en infrastructures de transport et de distribution sont estimés à quelque 600 milliards d’euros d’ici à 2035. Le business case pour des sources décentralisées d’énergie renouvelable ne cesse de s’améliorer, spécialement pour le photovoltaïque, qui connaît une diminution constante et rapide de ses coûts. Si l’Europe veut exploiter pleinement ce potentiel, des investissements significatifs sont nécessaires pour permettre une intégration correcte de l’énergie renouvelable dans les réseaux existants de distribution et pour transformer ceux-ci en réseaux intelligents (smart grids) capables, d’une part, de compenser les variations d’énergie solaire et éolienne entre les territoires et, d’autre part, au niveau local, d’optimiser la gestion de la demande. Les technologies en cours de développement pour le stockage de l’électricité permettront sans doute une avancée majeure pour le développement des énergies renouvelables. Le coût des batteries connaît déjà une diminution spectaculaire. La question n’est plus de savoir si mais plutôt quand les technologies de stockage vont changer profondément le paradigme existant.

Mais l’économie bas carbone ne se limite pas à la production et à la distribution d’électricité. On estime que le marché mondial pour les véhicules électriques et hybrides sera de l’ordre de 240 milliards de dollars en 2025. La rénovation thermique des bâtiments – qui représentent 36 % des émissions de CO2 en Europe – constitue un autre immense marché (selon l’Agence internationale de l’énergie, au moins 200 milliards de dollars par an).

Pour que les entreprises européennes puissent prendre une part significative de ces marchés, l’innovation est la condition sine qua non. Mais, comme l’expliquait si bien Philippe de Woot, l’innovation, ce n’est pas seulement développer de meilleures technologies pour rendre un moteur ou un réseau plus efficace ; c’est aussi regarder l’ensemble du système du point de vue des consommateurs et de la société. L’innovation, c’est tout ce qui nous permet de devenir des utilisateurs plus intelligents d’un système plus performant. Dans certains cas, l’innovation peut consister à fournir la boîte à outils (souvent une  » plate-forme  » numérique) qui permettra à d’autres d’innover. Parfois, l’innovation peut venir des consommateurs eux-mêmes, par exemple dans le cadre de l’appropriation sociale de l’énergie qui peut commencer à l’école.

Dans Repenser l’entreprise (1), Philippe de Woot plaidait pour que l’entreprise retrouve une finalité d’innovation (et pas uniquement de profit) et l’oriente vers les vrais défis du XXIe siècle. La transition énergétique est incontestablement l’un de ces défis.

(1) Repenser l’entreprise. Compétitivité, technologie et société, par Philippe de Woot, Académie royale de Belgique/L’Académie en poche, 2013, 124 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire