Gérald Papy

L’infréquentable Mohammed ben Salmane (chronique)

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les Etats-Unis portent un coup majeur au crédit du prince héritier d’Arabie saoudite, si tant est qu’il en ait encore beaucoup.

Depuis son investiture le 20 janvier dernier, Joe Biden a installé son mandat de 46e président des Etats-Unis en rupture radicale avec les réalisations de son prédécesseur. Un dossier de politique internationale illustre particulièrement cette intention, l’Arabie saoudite. Alors que Donald Trump avait gardé secret un rapport de la CIA déterminant les responsabilités dans l’assassinat du journaliste et opposant Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018, au consulat saoudien d’Istanbul, Joe Biden a autorisé la publication, le vendredi 26 février, d’un rapport de la Direction du renseignement national qui met directement en cause le prince héritier et homme fort de l’ Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, dans ce crime.

Le document de la coupole des services de renseignement américains explique en substance que vu le contrôle de MBS sur la prise de décision dans le royaume wahhabite, et vu l’implication avérée de conseillers de son service de protection dans l’assassinat d’Istanbul, Mohammed ben Salmane ne pouvait pas ne pas avoir validé l’opération.

Un petit rappel des faits explique la préméditation. Quelques jours avant le 2 octobre, Jamal Khashoggi, journaliste ayant d’abord soutenu la volonté de réforme de MBS avant de dénoncer son caractère autoritaire jusqu’à devenir un opposant en exil, se rend au consulat d’Istanbul pour solliciter les documents requis pour son remariage. Un délai est donné pour les valider et les lui transmettre, le temps qu’un groupe d’une douzaine de personnes de la Force d’intervention rapide, l’unité d’élite chargée de la protection du prince, débarque d’ Arabie saoudite en Turquie. Quand il se présente à nouveau à la représentation diplomatique, tout est en place pour l’issue fatale.

Une fois la disparition de Jamal Khashoggi constatée, les autorités judiciaires turques diligentent une enquête et arrivent rapidement à la conclusion que l’opposant a été tué et démembré à l’intérieur même du consulat. Rivale politique et religieuse du royaume wahhabite, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan fera tout pour confondre les auteurs et le faire savoir au monde entier. Le film documentaire du réalisateur américain Bryan Fogel, The Dissident, dont la sortie en Belgique est prévue au gré de la réouverture, prochaine ou pas, des salles de cinéma, est le récit clinique de cette opération. Il faut aller le voir pour mesurer le niveau de cynisme et de cruauté de ses exécutants et organisateurs saoudiens: l’arrivée du commando à l’aéroport avec la scie à os dans les bagages, le langage détaché et froid, selon la retranscription des écoutes turques, des responsables quand leur « cible » arrive au consulat, les dernières paroles incrédules de Jamal Khashoggi…

En désignant Mohammed ben Salmane comme responsable final de cette exécution, les Etats-Unis portent un coup majeur au crédit du prince héritier, si tant est qu’il en ait encore beaucoup après le fiasco de la guerre au Yémen, l’échec de l’embargo contre le Qatar auquel il a finalement dû renoncer, ou la désillusion envers ses réformes sociétales provoquée par la répression qui s’est abattue sur des militantes féministes ou des blogueurs. Mais en se gardant de le viser par des sanctions, au contraire d’autres responsables du royaume, Joe Biden espère préserver l’avenir des relations avec Riyad. Il faudra aux dirigeants des démocraties une solide pratique de la realpolitik pour continuer à faire confiance à un partenaire avec un tel passif.

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