Virginie Xhauflair, anthropologue, professeur à HEC Ecole de gestion de l'ULiège, titulaire de la chaire Baillet Latour en philanthropie et investissement social. © DR

« L’influence, c’est l’argent, pas la fondation »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Virginie Xhauflair, professeure à HEC Liège, les fondations privées en Belgique sont très éloignées de leurs homologues américaines. Elles ne sont pas le meilleur moyen d’acquérir du pouvoir.

Quelle est la finalité première des fondations philanthropiques privées ?

Pendant longtemps, la philanthropie d’entreprise a été considérée comme une pratique non légitime. Selon la conception de l’économiste américain Milton Friedman (1912 – 2006), la mission des sociétés était de faire du profit. Donc, la seule manière de légitimer la philanthropie était qu’elle rapporte à l’entreprise. Les travaux sur la responsabilité sociale ont fait évoluer cette conception. En pratique, on peut dégager trois approches de ce type de philanthropie. La  » vraie philanthropie, à savoir l’engagement pour le bien commun, une conception qui n’existe que s’il n’y a pas de contrepartie. L’investissement dans la communauté : l’entreprise décide d’entretenir l’environnement dans lequel elle développe ses activités pour pouvoir continuer à prospérer ; cette approche est de plus en plus répandue dans le discours managérial. Enfin, la philanthropie perçue comme vecteur de marketing pour soigner la réputation de l’entreprise. Mais celles qui sont à la pointe de la réflexion sur leur responsabilité sociale ne font pas de philanthropie. Elles s’inscrivent plutôt dans une logique de transformation (l’approche BCorp comme benefit corporation) : elles modifient leur modèle interne et tous leurs process pour avoir un impact positif sur leur environnement.

La philanthropie peut-elle receler des objectifs complémentaires moins vertueux que ceux affichés ?

Je suis incapable de répondre sur les aspects d’évasion fiscale parce qu’en Belgique, le statut de la fondation ne le permet pas et qu’il existe des instruments beaucoup plus simples à manier pour parvenir à cet objectif. Dans notre pays, il n’y a jamais eu d’encouragement fiscal manifeste à la philanthropie d’entreprise. C’est celle des donateurs privés qui est la plus promue fiscalement. Des objectifs complémentaires moins vertueux ? Oui, mais je parlerais plutôt d’effets pervers. Dans la volonté des philanthropes capitalistes, l’objectif est celui du progrès social parce qu’ils sont convaincus que les méthodes de management de l’entreprise sont les plus efficientes pour résoudre les problèmes sociétaux. Avant, le soutien philanthropique allait plutôt aux projets engagés par les organisations. Aujourd’hui, il vise d’abord à renforcer la gestion, le management, les compétences des organisations. Cette conception est paradoxale parce qu’en définitive, avec cet objectif affiché de changer le monde, la philanthropie capitaliste perpétue le système qui est à la base d’une bonne partie des problèmes que les associations du non-marchand essaient de résoudre. Cela leur évite de questionner leur propre business model. Mais la plupart de ces philanthropes ne sont pas nécessairement conscients de cette contradiction.

Plus elle est grande, plus une fondation est aussi soumise à des impératifs de transparence.

Le danger ne réside-t-il pas dans la taille de certaines fondations et dans l’influence qu’elles ont conquise ?

Le risque est plus grand parce que pareille fondation a plus de pouvoir. Dans le monde de la philanthropie comme ailleurs, l’argent, c’est le pouvoir. Mais plus elle est grande, plus une fondation est aussi soumise à des impératifs de transparence pour rester légitime. Et si elle ne l’est pas auprès des parties prenantes, elle ne pourra pas agir. La fondation Bill et Melinda Gates est atypique ; son pouvoir interpelle. Nous n’avons pas d’équivalent en Belgique, ni en France. Ce phénomène est essentiellement américain.

Quel est le profil des fondations privées en Belgique ?

La loi qui a introduit le statut de la fondation privée en Belgique date de 2002. Il répond visiblement à certaines attentes puisque se créent beaucoup plus de fondations privées – leur nombre a cru de 12,4 % entre 2014 et 2015 – que de fondations d’utilité publique. Elles sont de plusieurs natures. Elles peuvent être purement privées ou privées mais équivalentes à des fondations d’utilité publique… Elles sont souvent créées par des groupes d’acteurs qui s’associent pour poursuivre un objectif précis. Elles sont actives dans les domaines classiques, de la santé, de la recherche, de l’action sociale, de l’éducation, de la culture. Elles ne disposent pas de gros moyens et n’ont donc pas le même impact que la fondation Gates.

Le capitaine d’industrie qui crée une fondation cherche-t-il aussi à gagner en influence ?

La fondation n’est pas nécessairement l’outil d’influence par excellence. Il y a des moyens plus efficaces d’en avoir. Les universités, par exemple, nouent de nombreux partenariats privés. Beaucoup d’entreprises soutiennent des recherches, décident des domaines à développer et acquièrent de la sorte une grande influence. L’influence, ce n’est pas la fondation, c’est l’argent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire