L'église d'Ascq. © Capture d'écran

L’histoire du massacre d’Ascq, un « Oradour du Nord »

Le Vif

Les cloches n’ont pas sonné à Ascq, dans le nord de la France, le dimanche des Rameaux de 1944: le curé a été assassiné dans son presbytère comme 85 autres victimes d’une division SS. Les descendants de cet « Oradour du Nord » espèrent aujourd’hui un procès en Allemagne.

Cachée sous les toits avec sa petite soeur, sommée de ne pas faire de bruit par sa mère -elle avait dit « qu’on risquait de mourir »- Béatrice Delezenne, 7 ans à l’époque, se souvient « des coups de feu en pleine nuit » dans ce village de 3.000 habitants près de Lille.

Le père de Béatrice, depuis l’oeil-de-boeuf de la maison familiale, a vu, lui, comment « les Allemands sont venus tirer du lit » son propre père, « un vieillard de 75 ans ». « C’est la dernière fois qu’il l’a vu. Ma grand-mère lui a donné une couverture et quelques tartines… », raconte Mme Delezenne.

La scène se passe à proximité immédiate de la voie de chemin de fer où habitait la famille, la nuit du 1er au 2 avril 1944: un train transportant 350 à 400 SS de la « Hitlerjugend » (Jeunesse hitlérienne) en route vers la Normandie déraille légèrement, à la suite du sabotage de résistants, qui visaient en réalité un train de marchandises. Il n’y a pas de blessé, mais la répression est immédiate et terrible.

Plusieurs commandos de SS, certains avinés, investissent la petite ville, frappent aux portes, rassemblent les hommes. Le plus jeune a 15 ans, le plus âgé est le grand-père de Mme Delezenne, un négociant en grains retraité. Ils sont fusillés par vagues, jusqu’à 01H00 du matin. Un massacre, où périront des fratries, le curé, le vicaire… Des faits remarquablement documentés au Mémorial d’Ascq, qui surplombe légèrement la voie ferrée.

Cinq ans plus tard, en 1949, s’ouvre à Lille (nord) devant un tribunal militaire le procès de 17 SS, dont le lieutenant Hauck, responsable de cette division, 25 ans à l’époque, mobilisé avant sur le front russe. Dans une ambiance de « lynchage médiatique », comme le raconte l’historienne Jacqueline Duhem, il sera condamné à la peine de mort, comme 15 autres soldats, dont sept par contumace.

Un grand désarroi à Ascq

Mais tous finiront par être graciés en 1955 par le président René Coty, « au nom notamment de la réconciliation franco-allemande », puis libérés.

« L’idée que des assassins qui ont massacré sans raison puissent mener une vie tranquille en Allemagne passe mal », dit Alexandre Delezenne, 51 ans, le fils de Béatrice.

Il décide alors en 2013 d’écrire au parquet de Dortmund, dans l’ouest de l’Allemagne, compétent en matière de crimes nazis et qui rouvre l’enquête.

« Sans moi, l’histoire d’Ascq serait sans doute restée dans les cartons judiciaires », poursuit, sans forfanterie, M. Delezenne, qui dit avoir « baigné » dans l’héritage de ce drame « depuis toujours ».

Ce mandataire judiciaire de Dunkerque nourrit aussi « une certaine amertume », du fait « qu’on parle beaucoup des autres massacres comme Tulle ou Oradour (642 tués) », mais beaucoup moins de celui d’Ascq.

Il dit agir « pour l’honneur de (sa) famille et des 86 victimes ». Le « retentissement » du massacre, qui a duré jusqu’au début des années 1950, s’est ensuite estompé, « notamment parce que les familles de massacrés veulent rester entre elles », dit-il.

Obstacle juridique

Le parquet de Dortmund a en tout cas transmis le dossier mi-octobre à celui de Celle (Basse-Saxe), près d’où réside un suspect de 94 ans, l’un de ceux condamnés par contumace puis gracié. L’homme a fait l’objet de réquisitions et d’interrogatoires.

Son procès aura-t-il lieu prochainement en Allemagne?

Encore faudrait-il lever un obstacle juridique « car selon le droit européen, personne ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits », relève un porte-parole du parquet de Celle. Une « requête a été adressée à la justice française », précise-t-il.

Il serait aussi préférable de constituer les parties civiles pour que cette histoire « ne reste pas une affaire allemande », résume le juriste allemand Andrej Umansky, collaborateur du pénaliste Cornelius Nestler, spécialisé dans les crimes nazis.

Or la tâche n’est pas aisée. « Certaines familles hésitent, estimant que c’est trop douloureux, ou trop tard », note M. Umansky.

Mais d’autres espèrent, car « lorsque les SS ont été libérés, cela a provoqué un grand désarroi à Ascq », relève Sylvain Calonne, président de la société historique locale, qui contacte actuellement les familles avec M. Umansky et salue « la persévérance de la justice allemande ».

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