En 1953, les policiers français avec les deux princes Moulay Hassan (à l'avant-plan), futur roi Hassan II, et Moulay Abdallah, lors de l'exil de leur père en Corse. © COLLECTION PRIVÉE

L’exil en Corse de politiques, une pratique méconnue de l’histoire coloniale du Maroc

Déporter sur des îles des leaders turbulents était autrefois une pratique ordinaire. L’exemple avec le sultan Mohammed V, dont l’exil en Corse reste une page méconnue de l’histoire coloniale du Maroc.

Revisiter les anciennes relations coloniales est dans l’air du temps. En attendant la commission qui se penchera sur nos liens passés avec le Congo, un ouvrage (1) lève un coin du voile sur deux épisodes peu connus des relations franco-maghrébines : les exils forcés du sultan marocain Sidi Mohammed Ben Youssef, qui deviendra le roi Mohammed V (grand-père de l’actuel souverain), et de Habib Bourguiba, futur président de la Tunisie. L’un en Corse, l’autre sur l’île tunisienne de La Galite.

L’auteur, le philosophe Antoine Hatzenberger, a mené une recherche longue de dix ans sur le séjour insulaire de ces deux leaders, jusque dans le détail de leurs volumineux bagages. Avec un focus particulier sur l’exil corse du futur roi du Maroc : outre les archives diplomatiques et les rencontres sur le terrain, les photos léguées par le grand-père alsacien de l’auteur, à l’époque commis à sa garde, permettent de mieux cerner les relations d’alors entre la France et la monarchie alaouite. Le même sultan sera par la suite expédié à Madagascar, d’où il reviendra triomphalement en 1955.

« Les poètes sont exilés dans les confins, écrit Antoine Hatzenberger : Ovide au bord de la mer Noire, Victor Hugo à Guernesey, Dostoïevsky en Sibérie. Les hommes et femmes politiques, eux, sont exilés dans les îles. « Comme Napoléon. Et l’auteur de citer la militante Louise Michel (en Nouvelle-Calédonie) ou encore le roi d’Iran déporté par les Britanniques sur l’île Maurice… Les mêmes Britanniques ont exilé à Malte Saad Zaghloul, l’un des pères de l’indépendance égyptienne. Rentré au Caire en 1921, il fut à nouveau déporté, cette fois aux Seychelles.

Disgrâce ou nouveau départ

S’agissait-il, juridiquement, d’une condamnation ? La question reste ouverte. En Corse, Mohammed V était entouré d’une escouade de policiers français, autant gardiens que gardes du corps. « La relegatio ad insulam serait une allégorie de la séparation forcée entre les dirigeants et leur peuple, de l’enfermement du prince dans son palais. » Autre exilé célèbre en Corse, Sénèque défend l’idée que l’exil ne doit pas être interprété comme une disgrâce, mais comme la possibilité d’un nouveau départ. Le destin grandiose des deux leaders en atteste.

Le style du livre est aussi original que son thème : « J’ai voulu mettre sur le même plan le texte et l’image, et créer des réseaux de correspondances entre les différents éléments (dates, épigraphes, photos…), m’inspirant de techniques cinématographiques de montage plan par plan, séquence par séquence, ou du cut-up », expliquait Antoine Hatzenberger en marge de sa présentation à L’Usine, un espace d’art et de culture à Uccle.

La roue de l’exil tourne. Et celle des déboulonnages. A Tunis, une statue de Bourguiba à cheval faisant son retour triomphal remplacera celle de Jules Ferry, avant d’être démontée à son tour par le président Ben Ali pour laisser la place à une horloge monumentale. Lors de la révolution de 2011, Ben Ali sera lui-même contraint de partir en exil, en Arabie saoudite, où il est mort en 2019.

(1) Les Insulés. Exilés politiques en Corse, par Antoine Hatzenberger, Riveneuve, 152 p.

Les Insulés. Exilés politiques en Corse, par Antoine Hatzenberger, Riveneuve, 152 p.
Les Insulés. Exilés politiques en Corse, par Antoine Hatzenberger, Riveneuve, 152 p.

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