Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra © BELGAIMAGE

L’Algérie rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc

Le Vif

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a annoncé mardi la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc voisin, en raison « d’actions hostiles » du royaume à l’égard de l’Algérie.

L’Algérie a annoncé mardi la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc voisin, accusant le royaume « d’actions hostiles » à l’égard d’Alger après plusieurs mois de tensions exacerbées entre ces deux pays du Maghreb aux relations traditionnellement difficiles. « L’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc à partir d’aujourd’hui », a déclaré le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, lors d’une conférence de presse.

M. Lamamra a accusé Rabat de « n’avoir jamais cessé de mener des actions hostiles à l’encontre de l’Algérie ». « Les services de sécurité et la propagande marocains mènent une guerre ignoble contre l’Algérie, son peuple et ses dirigeants en lançant des rumeurs et en diffusant des informations malveillantes et incendiaires », a-t-il encore dit. Le ministre algérien a déploré un comportement du Maroc qui « entraîne le conflit au lieu de l’intégration dans la région » du Maghreb.

Rabat n’a pas réagi dans l’immédiat à l’annonce de la rupture des relations par Alger.

Fin juillet, le roi Mohamed VI du Maroc avait déploré les « tensions » avec l’Algérie, invitant le président algérien Abdelmadjid Tebboune « à faire prévaloir la sagesse » et « oeuvrer à l’unisson au développement des rapports » entre les deux pays.

Traditionnellement difficiles, les relations entre l’Algérie et son voisin marocain ont connu une récente dégradation en raison, notamment, de l’épineux dossier du Sahara occidental.

La normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël — en contrepartie d’une reconnaissance américaine de la « souveraineté » marocaine sur ce territoire — a encore avivé les tensions avec l’Algérie qui a dénoncé des « manoeuvres étrangères » visant à la déstabiliser.

– Ligne rouge –

Les liens diplomatiques avaient été rompus une première fois entre les deux pays quand le 7 mars 1976, Rabat mettait fin à ses relations avec Alger après la reconnaissance par l’Algérie de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), autoproclamée par les indépendantistes du Front Polisario.

« La provocation marocaine a atteint son paroxysme lorsqu’un délégué du Maroc aux Nations unies a appelé à l’indépendance du peuple de la région de Kabylie », a encore dit mardi M. Lamamra.

« L’Algérie a fait preuve de retenue, mais le silence marocain à cet égard reflète le soutien politique a cette démarche », qualifiée de « dangereuse et irresponsable ».

Alger avait rappelé en juillet son ambassadeur à Rabat pour « consultations avec effet immédiat », à la suite de « la dérive de la représentation diplomatique marocaine à New York qui a distribué une note officielle aux pays membres du Mouvement des non-alignés dans laquelle le Maroc +soutient publiquement et explicitement un prétendu droit à l’autodétermination du peuple kabyle+ », avait expliqué le ministère algérien des Affaires étrangères.

Durant une réunion du Mouvement des non-alignés les 13 et 14 juillet à New York, l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, avait fait passer une note dans laquelle il estimait que « le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination ».

Une ligne rouge pour Alger qui s’oppose à toute velléité indépendantiste de la Kabylie, région berbérophone du nord-est de l’Algérie.

Le diplomate marocain avait alors exprimé son soutien au séparatisme kabyle en réaction à l’appui apporté par Alger aux indépendantistes sahraouis du Polisario qui combattent le Maroc.

– « Actes hostiles » –

Mercredi dernier, Alger avait déjà accusé le Maroc d' »actes hostiles », disant « réviser » les relations entre les deux pays et « intensifier les contrôles sécuritaires aux frontières Ouest ». La frontière entre l’Algérie et le Maroc est officiellement fermée depuis le 16 août 1994.

Ces annonces de la présidence faisaient suite à une réunion extraordinaire du Haut conseil de sécurité algérien consacrée aux gigantesques feux de forêt qui ont fait au moins 90 morts dans le nord du pays.

L’enquête a permis de « découvrir qu’un réseau criminel, classé comme organisation terroriste », est derrière les incendies, « de l’aveu de ses membres arrêtés », avait indiqué la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN).

Les dirigeants algériens avaient accusé le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie), une organisation indépendantiste, d’être responsable des incendies et du lynchage et l’immolation le 11 août d’un homme accusé à tort de pyromanie en Kabylie, région berbérophone du nord-est du pays ravagée par les feux.

Le Haut conseil de sécurité algérien avait accusé le Maroc ainsi qu’Israël de soutenir le MAK. Alger a également mis en cause le mouvement islamo-conservateur Rachad établi à Londres.

Ces deux mouvements, bêtes noires du pouvoir algérien, sont illégaux en Algérie où ils ont été classés comme « organisations terroristes » le 18 mai dernier.

Des décennies de relations difficiles

Les deux poids lourds du Maghreb, l’Algérie et le Maroc, entretiennent depuis des décennies des relations difficiles en raison de l’épineux dossier du Sahara occidental, seul territoire du continent africain dont le statut post-colonial reste en suspens.

Le conflit du Sahara occidental oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie, depuis le départ du colonisateur espagnol dans les années 1970. Rabat, qui contrôle près de 80% du territoire, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté.

– Rupture

Le 7 mars 1976, Rabat rompt ses relations diplomatiques avec l’Algérie après la reconnaissance par Alger de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), autoproclamée par le Front Polisario.

Dès 1963, une « guerre des sables » avait opposé les deux voisins après plusieurs incidents frontaliers et leurs relations s’étaient gravement détériorées avec la « Marche verte » de 350.000 Marocains en direction du Sahara occidental en 1975.

– Accord sur une libre circulation –

Le 26 février 1983, le roi Hassan II et le président algérien Chadli Bendjedid se retrouvent en tête-à-tête à la frontière.

En avril, la libre circulation est rétablie pour les résidents des deux pays et, en mai, un accord sur la libre circulation progressive des personnes et des biens ainsi que l’ouverture des lignes aériennes et ferroviaires est signé.

– Reprise des relations –

Le 11 juillet 1987, le ministre algérien des Affaires étrangères rencontre Hassan II. Le 22 novembre, c’est au tour du chef de la diplomatie marocaine de se rendre à Alger.

Le 16 mai 1988, Alger et Rabat annoncent la reprise de leurs relations diplomatiques. Le 5 juin, leurs frontières respectives sont officiellement rouvertes.

Le 7 juin, Hassan II effectue sa première visite à Alger depuis 15 ans, où il participe à un sommet arabe extraordinaire.

Début février 1989, la visite du président Bendjedid à Ifrane, la première d’un chef d’Etat algérien au Maroc depuis 1972, scelle la réconciliation. Un accord est conclu pour un projet de gazoduc devant relier l’Algérie à l’Europe, à travers le Maroc.

En juin 1992, la promulgation par Rabat de la convention de juin 1972 met fin aux problèmes frontaliers à l’origine de la « guerre des sables ».

– Fermeture des frontières –

Mais, le 16 août 1994, les déclarations du président algérien Liamine Zeroual selon lesquelles il reste en Afrique « un pays illégalement occupé » -allusion au Sahara occidental- sont très mal perçues à Rabat.

Le 26 août, le Maroc instaure un visa d’entrée pour les Algériens après l’attaque d’un hôtel de Marrakech où deux touristes espagnols ont été tués par des islamistes franco-maghrébins. Rabat accuse des services de sécurité algériens d’être derrière l’attentat.

L’Algérie ferme sa frontière avec le Maroc.

Le 25 juillet 1999, le président Abdelaziz Bouteflika assiste aux obsèques de Hassan II à Rabat. Mais ce début de réconciliation est brutalement freiné le 15 août après un massacre qui fait 29 morts dans le sud-ouest algérien. Bouteflika accuse le Maroc de faciliter l’infiltration d’islamistes armés.

– Léger dégel –

En mars 2005, une série de rencontres entre le président Bouteflika et Mohammed VI marque un « dégel ».

En juillet 2011, le roi se prononce pour la réouverture des frontières terrestres et une normalisation des relations. M. Bouteflika affirme quelques mois plus tard sa volonté d’oeuvrer au « raffermissement » des relations « au mieux » des intérêts des deux pays.

En décembre 2019, Mohammed VI appelle à ouvrir une « nouvelle page » dans un message de félicitations au nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune.

– Normalisation Israël-Maroc –

En décembre 2020, l’Algérie dénonce des « manoeuvres étrangères » visant à la déstabiliser et pointe du doigt Israël après la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, en contrepartie d’une normalisation des relations de Rabat avec l’Etat hébreu.

« Le conflit du Sahara occidental est une question de décolonisation qui ne peut être résolue qu’à travers l’application du droit international », réaffirme Alger.

– Nouvelles tensions –

Le 18 juillet 2021, Alger rappelle son ambassadeur à Rabat pour « consultations ». Un diplomate marocain a exprimé son soutien au séparatisme kabyle, en réaction à l’appui apporté par Alger aux indépendantistes sahraouis. Une ligne rouge pour Alger qui s’oppose à toute velléité indépendantiste de la Kabylie, région berbérophone du nord-est de l’Algérie.

Le 31 juillet, à l’occasion de la fête du Trône, Mohammed VI déplore les « tensions » avec l’Algérie, réitérant son appel à rouvrir les frontières terrestres.

Le 18 août, Alger annonce « revoir » ses relations avec le Maroc, accusé d’être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont ravagé le nord du pays.

– Nouvelle rupture –

Le 24, le ministre algérien des Affaires étrangères annonce la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, en raison « d’actions hostiles » du royaume.

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